Lucy s'est séparée de Paul, le père de ses deux fils. Si le divorce n'est pas acté, elle n'attend plus rien de l'histoire vécue avec lui tant son comportement l'a mise en rage. Non seulement alcoolique, il a fait entrer des dealers dans le foyer familial. Lucy doute de pouvoir jamais lui pardonner cela.
Elle a quarante-deux ans, est professeur d'anglais, directrice de son département dans une école publique. Elle adore son métier, adore travailler là.
Lucy se sent bancale, elle a des parents avec lesquels elle n'a rien en commun, qui habitent dans le Kent et votent en faveur du Brexit; des amis bobos qui inscrivent leurs enfants dans des écoles privées, certains avec lesquels elle ne partage plus rien. Elle n'attend pas l'amour pour l'instant, dévouée à l'éducation de ses fils, investie dans son job.
Quand elle fait la connaissance de Joseph, elle n'a rien de précis en tête. Il travaille le samedi chez son boucher artisanal, il rêve d'une carrière de DJ et est aussi baby-sitter à ses heures. Lucy l'embauche pour quelques soirées et, très vite, le regard qu'elle pose sur lui change : il sait y faire avec ses garçons, possède une autorité naturelle, les conversations avec lui sont intéressantes, et ce qui ne gâche rien il est beau garçon... pourquoi ne pas tenter l'aventure, d'autant plus que Joseph est également sous le charme.
Oui, mais... Joseph a vingt-deux ans, est noir et nous sommes dans un milieu relativement aisé, dans l'Angleterre de 2016 en pleine tourmente du Brexit.
Nick Hornby signe à nouveau un roman profond sous des apparences de légèreté, plaide pour la tolérance dans tous les domaines et questionne le sentiment amoureux : est-il possible de mettre entre parenthèses ses préjugés, ses a priori de classes et d'idéologie, d'affronter le qu'en-dira-t-on, pour vivre ensemble ?
Son propos est nuancé, balayant différents points de vue; les dialogues sont savoureux, drôles et touchants, ils reflètent parfaitement la difficulté à se départir du conformisme, des idées toutes faites serinées par l'entourage dans lequel nous vivons.
Son propos est sensible quand il parle des sempiternelles questions générées par l'écart d'âge dans un couple, que ce soit du côté plus âgé comme plus jeune. Joseph sait que Lucy et lui n'ont pas la même culture, intellectuelle et sociale; elle ne pense ni ne se comporte comme les gens de son âge à lui. Lucy, quant à elle, se demande si un avenir ensemble est réellement envisageable : ne voudra-t-il pas des enfants ? Et puis, elle vieillit, son corps change et risque de dégoûter - il faut lâcher du lest avant que cela ne vire à l'obsession.
"Elle aurait quatre-vingts ans quand lui en aurait soixante, et probablement serait-elle délivrée à ce moment-là des tourments de la gêne, des doutes et du désir. Elle allait s'efforcer de les apprécier pour le temps qu'ils lui dureraient."
Au final, l'important est que l'accord soit harmonieux dans le couple, que le dialogue ne se perde pas et que le pardon ait une place d'honneur - celle qu'il devrait avoir dans toute relation. L'essentiel, et ce n'est guère un précepte guimauve, est de suivre la voie du coeur.
"C'était une période où chacun jurait de ne jamais pardonner aux gens : aux politiciens, pour ce qu'ils avaient fait; aux amis et aux parents, pour la façon dont ils avaient voté, les propos qu'ils avaient tenus, voire les pensées qu'ils avaient eues. La plupart du temps, on ne pardonnait même pas aux gens d'être juste eux-mêmes. On ne pardonnait pas leurs mensonges aux hommes et aux femmes politiques qui mentaient depuis le premier jour de leur carrière. On ne pardonnait pas aux habitants des grandes villes d'être des métropolitains, aux pauvres d'exprimer leur insatisfaction, aux vieux d'être vieux et d'avoir peur. Mais pouvaient-ils eux aussi être réduits à ça ? Et ne pouvait-on aimer que ceux qui pensaient comme nous, ou restait-il des ponts à construire, plus en amont sur la rivière ? Ne pouvait-on pas juste creuser des tunnels sous le champ de ruines ?"
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