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  • Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Qui sait" Pauline Delabroy-Allard - Gallimard


Après le magnifique "Ça raconte Sarah", paru aux éditions de Minuit en 2018, où Pauline Delabroy-Allard explorait les méandres de la passion amoureuse, "Qui sait" interroge notre identité.

Pauline, narratrice et double de l'auteure, près de devenir mère, se penche sur son identité, sur ces trois prénoms accolés au sien sur la première carte d'identité qu'elle demande, après avoir vécu sans pendant trente ans. Les voir écrits l'interpelle.

Qui sont ces autres ?

"Deux femmes, un homme. Ce n'est pas anodin, tout de même, d'être escortée dans l'existence par trois inconnus."

Une enquête s'impose, une quête de soi dans le labyrinthe des héritages familiaux, esquisser les contours des absents pour définir les siens propres, se définir afin de pouvoir nommer l'enfant à naître, toute neuve identité. Le chemin est ardu dans une famille plus habituée aux silences qu'aux longues confessions.

"Dans ma famille, on ne parle pas. Enfin si, on se raconte des tas de choses et on adore ça, tant qu'on ne parle pas du passé, des passés. Le passé de notre père n'est jamais évoqué. Celui de notre mère, encore moins. Leur passé commun, avant nos naissances, ce n'est même pas la peine d'y penser. On évite de poser des questions, même s'il arrive qu'on obtienne des réponses. Mais la plupart du temps, il s'agit de botter en touche, de rire pour planquer une vérité, de faire un écart, de répondre autre chose, des sornettes, des inventions."

Et l'imagination de Pauline est vive à ces inventions qui finisse par créer du réel, comme en fait écho cet épigraphe de Pierre Soulages, "C'est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche".

"J'écris parce que le regard de ma mère s'évapore, parce que son silence m'enveloppe. J'écris pour remplir les vides. J'écris pour voir après. J'écris pour plaire. J'écris pour passer la nuit. J'écris pour triturer du bout des doigts les blessures de l'existence. J'écris pour déplaire. J'écris pour ne plus avoir peur. J'écris pour sauver ce qui peut l'être. J'écris pour savoir qui je suis. Si je n'obtiens pas de réponses, alors j'inventerai." Écrire donne contenance à l'existence, une consistance.

Les divagations de Pauline vont l'aider à estomper les brumes, à se frayer une voie dans ces trois essentielles et existentielles questions qui traversent la pensée de Kant : que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? Trois questions qui structurent le roman en trois parties.

Pauline se lance sur les traces de Jeanne, Jérôme et Ysé, ces inconnus avec lesquels elle partage un même corps, une même tête, parce que nommer est tout sauf anodin, nommer détermine et le sens de l'acte peut détruire s'il n'est mis en lumière, la chaîne à laquelle nous appartenons peut ligote, voire briser. Un prénom nous ancre dans un territoire qui n'est pas uniquement le nôtre, construit de tant d'héritages - chacun des prénoms accroché à elle "comme un bateau à son ancre, et d'ailleurs, qui est le bateau et qui est l'ancre, on l'ignore (...)". Poursuivre des pistes, glaner des indices l'entraînent en Tunisie, d'où elle revient avec un chat sur l'épaule - "(...) il est la preuve vivante que même lorsqu'il ne se passe rien, des choses arrivent, que même lorsqu'on pense ne rencontrer personne, on se cogne à quelqu'un, que même lorsque la vie piétine, l'existence n'attend pas." -, lui font prendre des cours de danse classique et rencontrer Maxence, lui mettent dans les mains "Passage de Midi" de Paul Claudel, porte vers Ysé... Autant de pas vers une définition de soi. Il ne s'agit pas de devenir - verbe ridicule s'il en est - mais d'être...


Si j'ai trouvé à ce nouvel opus de l'auteure moins de ferveur que dans son précédent, j'en aime le questionnement et la façon dont elle le mène, un questionnement qui est universel, sur l'identité et le fondement de soi. Peu importe les questions qui restent sans réponse, l'important est d'être à l'écoute de son intuition et de, peut-être, passer par la fiction pour trouver sa vérité.

"Sans doute que c'est dans les histoires qu'on existe vraiment, que c'est dans la fiction que se dissimule la vérité, qu'il n'y a pas d'autre endroit où vivre."

Et peut-être "est-ce que c'est ça, alors, le passage, le rite de la vraie naissance, s'inventer un nom, un nom qui ne serait pas celui qu'on a reçu, se désigner soi-même ?" Qui sait ?


"C'est ça, je crois, la raison pour laquelle on donne plusieurs prénoms aux enfants qui viennent au monde, c'est le fantasme diffus d'une vie qui ne serait pas unique, qui ne serait pas singulière, c'est le fantasme cafouilleux de donner plusieurs vies, ou alors une seule mais immortelle, oui, immortelle, d'offrir plusieurs visages, d'ouvrir le champ des possibles à l'infini ou presque."


"(...) est-ce que j'existais avant d'exister, est-ce qu'on existe, un peu, déjà, avant d'exister ? Dans les conversations de ceux qui, bientôt, vont nous faire exister. Dans les fantômes et les ombres de ceux qui sont alors bien vivants, avant de nous suivre, morts, jusqu'au jour de notre propre mort."

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