Décembre 1944, dans les Ardennes belges. Renée est une petite fille juive de six ou sept ans qui a perdu sa famille. Elle a oublié son vrai prénom, son bien le plus précieux s'appelle Ploc, un doudou usé qui lui vient de sa maman. Elle est un peu farouche, a un caractère affirmé, des dons pour le dessin et pour raconter de jolies histoires. Devant l'arrivée imminente des Allemands, elle doit quitter la famille qui l'héberge depuis cinq mois. Jacques, le père, la conduit chez le curé, elle y sera plus en sécurité. Se sentant incapable de faire barrage avec sa seule foi, ce dernier fuit et, lorsqu'il repère une jeep américaine, il y met de force l'enfant.
Il s'avère que les deux soldats ne sont pas américains mais allemands. Emmenée dans un bois, Renée échappe de peu à la mort quand l'un des soldats descend l'autre. Mathias a croisé le regard de la gamine et, sans savoir pourquoi - en tout cas dans l'immédiat -, son bras a légèrement dévié.
Commence alors une fuite à deux, une aventure aussi étrange que révélatrice. Renée a toujours préféré les animaux aux humains; avec Mathias, c'est différent. Mathias est une machine à tuer, un aventurier intelligent et intuitif capable de devenir l'ennemi, un maillon de la chaîne de destruction même s'il n'a pas grand chose à voir avec la "solution finale de la question juive". Il est intrigué par Renée qui ne pose aucune question, ne demande rien. Peu à peu, une joie silencieuse naît en lui et le déboussole complètement...
"Cette enfant lui insufflait une force, un élan vital, un goût de l'existence nouveau qui le galvanisaient et l'asservissaient plus intensément que tout ce qu'il croyait être les moteurs de son existence : la transe du combat, l'imminence du danger, la passion du risque, et la peur de la mort."
Fantastique roman sur un sujet exploité jusqu'à plus soif - les ravages d'une guerre carnassière -, heureusement abordé par le prisme d'une amitié quasi improbable, d'une relation qui se tisse inédite et exclusive. Emmanuelle Pirotte écrit d'émotion et c'est un réel plaisir. Elle met en scène la complexité de l'humain, la difficulté de mettre des mots parfois sur ce que l'on ressent - par évitement, par protection. Scénariste, elle mène son intrigue avec les ficelles de son art et distille le suspense avec un talent qui garde le lecteur en alerte, le réjouissant d'une plume entraînante qui saisit à merveille les cruautés comme les moments de douceur, liant le tout d'un humour séduisant.
"Ce n'est pas lui qui a choisi de ne pas l'abattre. C'est elle qui l'a choisi. À cet instant, il appartient tout entier à cette fillette juive, avec son vieux paletot mité et ses bottines trouées, son regard sauvage et son port de reine. Mathias n'a eu aucun élan de compassion ou de bonté. Il aurait abattu froidement n'importe quel autre enfant. Ce geste ne le sauve de rien, ne le lave en aucune façon. Mais il l'a transformé irréversiblement."
Deuxième roman que je lis de l'auteure, après son dernier opus "Rompre les digues" sur lequel je vais me faire le plaisir d'écrire un article tant je l'ai aimé. Un troisième m'attend déjà, "Loup et les hommes", un quatrième séjourne sagement à la bibliothèque, "De profundis" m'est réservé. Vous dire que je suis séduite ?
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