top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Suite en do mineur" Jean Mattern chez Sabine Wespieser


Robert Stobetzky a reçu de son neveu pour l'anniversaire de ses cinquante ans un voyage à Jérusalem. Jamais cadeau ne fut plus malvenu pour lui qui n'est pas un voyageur dans l'âme, qui n'aime ni la destination - Jérusalem "où la moitié des touristes se prennent pour Jésus, Mohamed ou un autre prophète, d'après notre guide ça s'appelle le syndrome de Jérusalem" - ni la collectivité. Il en veut à son neveu Émile pour ce cadeau incongru, il s'en veut à lui-même de l'avoir accepté.

Cependant, ce cadeau de prime abord empoisonné se révèle salvateur, car c'est sur la terre de ses ancêtres que Robert, ébranlé par une vision, va enfin pouvoir reprendre le cours d'une vie mise entre parenthèses pendant près de trente années. Il a cru reconnaître dans la foule le port altier de Madeleine, son premier et unique amour, fantôme d'un passé dont il est resté prisonnier et qui l'a empêché de vivre. Peut-être avait-il mis trop d'espoir, trop d'attente dans une relation qui s'est présentée à lui comme une possibilité de renaissance, venant mettre un terme au long deuil de ses parents, morts lorsqu'il avait à peine dix ans. Madeleine, avec sa belle énergie et sa franche liberté, lui a donné le sentiment d'être à l'abri du malheur. Quand, après trois semaines de passion, elle le quitte un dimanche matin le laissant avec ces quelques mots jetés sur le papier ,"Tu comprendras un jour. Sois heureux.", Robert vit la violence d'un nouvel abandon. Depuis lors, il a survécu, comme en apnée, s'essayant à l'oubli, s'arrangeant avec sa solitude, composant avec une existence qui n'en est pas vraiment une. Jusqu'à ce voyage à Jérusalem où il est parti en ronchonnant et d'où il revient serein, enfin prêt à refermer une page qui a arrêté le temps.


Jean Mattern, c'est une élégance folle tant dans l'écriture que dans la pensée, c'est une sensibilité peu commune, de la tendresse, une délicate pudeur, une empathie sincère. Avec une incroyable justesse de ton dans l'expression de l'émotion, il nous parle des puissants mécanismes de la mémoire qui peuvent nous enfermer dans une mélancolie mortifère, il dit la douleur des ruptures qui passe ou foudroie. Jean Mattern pose, dans ses romans, cette essentielle question : arrive-t-on jamais à faire la paix avec ce que l'on laisse derrière soi, ce bonheur vécu que l'on pense unique ? Et, corrélativement, ces autres questions : qu'emporte de nous l'autre quand il part ? quelle empreinte laisse-t-il gravée au plus profond de nous, corps, coeur et âme confondus ?

Nous pouvons tous rester bloqués sur des moments de nos vies, perdus mais si précieux, s'y nourrir de mélancolie, arrêtés là comme de vieux disques rayés. Nous pouvons aussi décider de prendre le large, loin de ces douleurs paralysantes en nous aidant des beautés que nous offre la vie, à savoir l'amitié et la musique, "ce langage secret que notre corps comprend".


"La musique, quand elle sonne juste, déplore et console en même temps, elle chante la beauté du monde et se lamente de notre solitude irréductible. L'humanité a besoin de musique, car elle seule peut faire danser notre âme."


Et nous pouvons lire ces romans où nous trouvons un écho de nous-même, une complicité, une fraternité. Tels sont les romans de Jean Mattern, une douce mélodie qui accompagne nos heures et survit au temps qui passe, reste là, au creux du coeur.


"(...) une vie peut contenir des contradictions autant qu'un pays, non ?"


"(...) si je 'refaisais ma vie', ici ou ailleurs, bien que j'aie toujours pourfendu cette expression idiote, comme s'il s'agissait de changer les papiers peints pour aboutir à un appartement 'refait à neuf', comme si on pouvait recommencer son existence à zéro sans le poids du passé, ou au contraire en s'inventant un passé que l'on n'a jamais connu, c'est évidemment une idiotie (...)"






14 vues0 commentaire
bottom of page