Autant je n'ai pas aimé "No home" que je confesse avoir abandonné en cours de lecture - était-ce la traduction ? trop de disruptions dans le style ? -, autant j'adore "Sublime Royaume", son style vif et élégant qui vous emporte dès le premier mot, ses thèmes - la douleur de la perte, l'amour et ses variantes, le foyer, la foi.
Gifty a vingt-huit ans lorsqu'elle décide d'accueillir chez elle sa mère qui semble souffrir de dépression sévère. La première fois qu'elle l'a vue dans cet état, elle était jeune adolescente et elle fut envoyée pendant trois mois au Ghana chez une tante dont elle ignorait l'existence. Née en Alabama, elle n'aime pas ce pays, trop chaud, trop brouillon, d'où ses parents sont originaires. A la naissance d'Isaac, son frère aîné, sa mère a rêvé d'Amérique, d'espace et d'un avenir meilleur. Son père, surnommé Chin-Chin en référence aux biscuits qu'il adore, ne supportera pas longtemps ce pays dont il se sent étranger et retournera au Ghana pour ne plus jamais en revenir malgré ses promesses - "Dans mon pays, les gens n'ont peut-être pas d'argent, mais ils ont le bonheur en abondance. En abondance. Personne en Amérique ne profite de l'existence." Une première désaffection pour Gifty; un père dont elle garde peu de souvenirs, à qui elle en voudra de son indifférence. Pour surmonter ses chagrins, elle s'adresse à Dieu, lui écrit des lettres où elle confie ses questions, ses espoirs, ses doutes. Quand son frère adoré Isaac, qui n'a pas pu digérer l'absence de son père, meurt d'une overdose à l'âge de dix-huit ans, Gifty en veut à dieu et perd la foi, s'en veut à elle-même d'avoir eu honte et de n'être pas intervenue. Pour comprendre les mécanismes de l'addiction, elle se lance dans des études de neurosciences et des recherches poussées en labo. Mais si elle sait expliquer les où et les comment, elle bute sur les pourquoi. Pour ne plus souffrir, elle se refuse à l'amour, elle a une boîte fermée à clé où elle conserve ses larmes. Mais peut-on indéfiniment échapper à soi ?
Un beau roman, tendre et humain, aux milles questions, intelligentes et éternelles.
Il y a celle de la foi : que veut dire prier ? qu'est-ce que le péché ? qu'est-ce que la foi si Dieu est vu comme une récompense dont certains seulement sont dignes ? y a-t-il adéquation entre foi et sciences ? Tant d'interrogations auxquelles Gifty fait face, vues au prisme de ses souffrances et d'une certaine défiance parce qu'elle a vu sa mère ne s'abreuver qu'à la seule source de la religion.
Il y a l'amour sous toutes ses formes. L'amour de Gifty pour son frère, tous deux unis face à une mère à l'intense bouillonnement intérieur, comme folle; unis face à la pauvreté, à la discrimination. L'amour de Gifty pour une mère stricte, borderline - "Pendant longtemps, la plus grande partie de ma vie, en réalité, il n'y avait eu qu'elle et moi, mais ce n'était pas un duo naturel." L'amour de Gifty pour Raymond, un littéraire très intéressé par ses recherches mais duquel elle est restée trop distante. Elle passe beaucoup plus de temps dans son labo avec ses souris qu'avec ses congénères à nouer des relations. "Ma mère, mes souris et moi étions toutes un peu endommagées, mais nous faisions face comme nous pouvions." Gifty finira par faire face, par ne plus retenir son souffle et par ne plus museler ses émotions et renoncer à trouver un sens à son bric-à-brac intime, écoutant ce frémissement au plus profond d'elle qui ne l'a jamais quittée. Et vivre !
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