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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Shuggie Bain" Douglas Stuart chez Globe


C'est l'histoire d'une ville, Glasgow, où "la pluie était l'état naturel (...). Ça rendait l'herbe verte et les habitants pâles et asthmatiques"; une ville gangrenée par la pauvreté, les années Thatcher ayant engendré une crise économique d'envergure, source de marginalisation et de violence.

"Des immeubles entiers de jeunes hommes promis aux métiers de leurs pères qui n'avaient plus d'avenir. Les hommes perdaient jusqu'à leur masculinité."

C'est l'histoire d'un quartier, Pithead, un coron aux bicoques austères et tristes sur une lande tourbeuse noire de charbon, un trou à rats que le soleil semble avoir oublié. Les temps sont durs, la mine crève, la lame du besoin est mordante.

C'est l'histoire d'une femme qui a dû tirer un trait sur ses rêves. Agnes Bain a quitté un premier mari un peu trop propre sur lui, un peu trop lisse, un peu trop mou, en emmenant ses enfants avec elle. Elle a suivi Shug Bain et la perspective d'une vie valant d'être vécue. Sans être une gravure de mode, Shug est charismatique et magnétique. Leur histoire, commencée comme un conte de fées, s'assombrit vite. Shug ne voulait pas qu'elle vienne avec sa progéniture, que lui-même a laissée derrière lui, et parce qu'il ne supporte pas qu'Agnes s'abrutisse dans l'alcool, il joue des poings, s'absente de plus en plus. Jusqu'au jour où il l'abandonne à Pithead, après bien des promesses. Et il le fait avec une rare cruauté.

"Elle l'avait aimé et il avait dû la briser totalement pour pouvoir la quitter. Agnes Bain était une chose trop rare pour laisser quelqu'un d'autre l'aimer. Ça n'aurait pas suffi de la laisser en morceaux pour que plus tard un autre les ramasse et les répare."

C'est l'histoire d'une femme trompée, trahie, brutalisée, qui garde la tête haute.

"Chaque jour elle ressortait de sa tombe, maquillée et coiffée, et redressait la tête. Quand elle s'était ridiculisée la veille, elle se relevait, mettait son plus beau manteau, et faisait face au monde. Quand elle avait le ventre vide et que ses mômes avaient faim, elle se coiffait et faisait croire au monde entier qu'il n'en était rien."

C'est l'histoire d'une femme passionnée et désespérée qui enseigne à son plus jeune fils à être fier, à se battre - "Lève la tête et Donne. Tout. Ce que tu as".

C'est l'histoire d'un gamin, d'un fils, d'un frère qui grandit sur une terre qui tremble sans arrêt. Shuggie Bain voue une admiration sans faille à sa mère qu'il va tenter de protéger de ses addictions, en même temps qu'il mène son propre combat, à savoir paraître "normal" aux yeux des autres garçons du quartier. Shuggie se sent plus féminin que masculin...

"Il sentait que quelque chose n'allait pas. Quelque chose à l'intérieur de lui était monté de travers. C'était comme si tout le monde pouvait le voir et que lui seul était incapable de dire ce que c'était. Ce n'était pas seulement une différence, c'était une tare."

C'est l'histoire d'un gamin qui peine à mettre des mots sur ce qu'il ressent, qui n'a personne pour l'y aider, qui se retrouve face à des situations qui le dépassent et qui s'invente de petits rituels pour survivre. Il apprend, avec douleur, que l'on ne peut sauver qui ne veut pas l'être, comme le lui affirme son frère Leek : "Ne fais pas la même chose que moi. Elle ne guérira jamais. Le moment venu, il faudra que tu te casses. La seule chose que tu peux sauver, c'est toi."


"Shuggie Bain" est un ample roman social, comme ceux qu'a écrits Frank McCourt, où s'enchaînent les drames, mais surtout un beau roman d'amour et de tendresse, seuls bastions de sauvegarde. Avec une plume douée pour peindre les atmosphères, une plume élégamment trempée dans l'humour, Douglas Stuart nous parle d'un amour filial inconditionnel et de l'espoir toujours présent, cette lumière qui persiste au milieu de la poussière et de la noirceur des jours. Il réussit à faire battre le coeur du lecteur à l'unissson de celui de Shuggie - pourvu que ledit lecteur fasse preuve d'un minimum d'empathie -, gamin généreux qui se demande pourquoi les femmes acceptent tout des hommes, qui a revêtu son costume de héros et se bat vaille que vaille jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il reste un simple humain, impuissant dans certaines batailles.

Les ravages de l'alcool, la pauvreté, l'abandon, la misogynie, l'homophobie, le courage, des thèmes forts pour un roman puissant aux réels accents d'autobiographie.

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