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  • Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Seule en sa demeure" Cécile Coulon chez L'Iconoclaste


Aimée Deville épouse Candre Marchère sur le conseil de son père adoré, aussi parce qu'elle est bouleversée par la tristesse que Candre dégage.

"Je ne t'obligerai pas à épouser cet homme, Aimée. Il est venu ici, et tu l'as accueilli à tes côtés sans te méprendre ni te fermer. Je ne t'obligerai pas à épouser cet homme mais je t'obligerai à épouser un homme bon et il est le meilleur d'entre tous."

À vingt-six ans, Candre Marchère est un homme riche et pieux, différent des hommes du cru, des soldats ou des gueux, "des hommes de fer ou des hommes des bois". Sa jeune vie est marquée par deux drames : sa mère s'est effondrée en la petite église des Saints-Frères, devant ses yeux, alors qu'il avait cinq ans; il a perdu sa première femme, Aleth, quelques mois après leur union.

C'est un homme taiseux, ardu au travail, mangeant peu, ne buvant pas. Il préfère à ses semblables les animaux qui jamais ne trahissent et il pense que "les femmes sont meilleures en ce monde que les meilleurs des hommes". Aimée est séduite par son côté féminin - "Il n'avait ni les manières ni le ton d'une femme ou d'une jeune fille, mais sa façon de ne jamais se mesurer à ses semblables, de vivre selon la loi au-dessus d'eux le rapprochait d'Aimée."

Mais comment peut être la vie avec un homme dont elle ne connaît rien et pour lequel elle n'éprouve pas encore un amour véritable ?

Aimée est impressionnée par le domaine Marchère, "une bâtisse de pierre et de bois, aussi large qu'un couvent, aussi haute qu'une église", sise au coeur de la forêt d'Or dans le jura. Elle y fait la connaissance d'Henria, la domestique qui a élevé Candre, et de son fils Angelin à la beauté singulière.

Aimée, qui n'a jamais connu un homme bibliquement, ne sait comment lâcher prise - "Rien ne se produisait en elle : son corps, si beau dans ses robes, ne répondait pas aux chamailleries du désir. Elle n'en ressentait pas la brûlure, n'en comprenait pas les indices. Elle échappait aux filets qu'ils jetaient sur elle (...)"

L'éveil sensuel vient de sa rencontre avec Émeline Lhéritier, sa professeure de flûte, sous le regard de laquelle elle se sent importante, désirable. Sa vie écartée du monde, de la vie des autres, va la faire s'attacher à certaines questions : qu'est-il en vérité arrivé à Aleth ? Pourquoi Angelin a-t-il la langue coupée ? Candre lui dit-il la vérité ?

Aimée, sous la douceur de Candre, devine une rudesse, une violence venue d'ailleurs et, peu à peu, la peur l'envahit...


Si je trouve "Seule en sa demeure" moins puissant, moins magnétique que "Une bête au paradis", j'en aime l'atmosphère de conte où plane de l'étrange et où l'oppressant s'installe subtilement. Il y a un parfum de roman victorien, roman de moeurs et d'apprentissage, dans ces pages. Aimée est une ingénue timide qui, confrontée à ses désirs et aux mensonges, devient une femme, capable de s'opposer aux interdits d'un XIXe siècle corseté qui attend d'elle obéissance et soumission. Il y a également un parfum de roman gothique où les secrets du passé hantent le présent, dans lequel le lieu est un personnage à part entière - ici, une forêt dense, emplie de ténèbres et règne de l'isolement -, théâtre d'un huis-clos où se jouent toutes les passions humaines, les joies féroces comme les tragédies. En nous, des forces primitives, violentes et irrépressibles...

L'originalité de Cécile Coulon tient à son style tissé de silences, de mots précieusement choisis qui ont un petit côté suranné, une plaisante patine. Elle réussit cependant à éviter un lyrisme confit et étouffant et nous offre un roman intrigant qui flirte avec le polar et raconte avec poésie l'éveil à la sensualité.

"(...) ici les âmes enterraient leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles."

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