Jas, la narratrice, a dix ans et vit dans une ferme des Polders, au sud des Pays-Bas, dans une famille protestante très religieuse. Elle raconte le lait tiède avec la peau "beurk", la graisse à traire tartinée sur les joues par sa mère pour protéger du froid, la pâte à tartiner duo Penotti uniquement au petit-déjeuner lors des vacances... Elle raconte surtout le cataclysme provoqué par la mort de son frère aîné Matthies, la glace ayant cédé sous ses patins lors d'une course sur le lac. Jas avait adressé une prière à Dieu, lui demandant d'épargner à son lapin Bouclette d'être servi comme plat principal à la Noël et de prendre à la place son frère Matthies dont elle est jalouse, empêchée de patiner sur le lac. Du vent qu'elle a semé va naître une sourde tempête : son père, qui leur serine sans arrêt qu'ils ne sont pas faits pour être heureux, ne pense plus qu'à son travail à la ferme et se désespère de la perte de son cheptel à cause de la fièvre aphteuse; sa mère ne mange quasi plus, dépérit, n'a plus la force de s'occuper de ses enfants. Jas, affamée de contacts et de tendresse, fait rempart de ce qu'elle peut. Elle refuse de quitter sa parka rouge - d'où son surnom 'Parka' - dans les poches de laquelle elle accumule des souvenirs; elle finit constipée à force de ne vouloir rien perdre d'elle-même; elle s'enfonce une punaise dans le nombril, compagne invisible; elle prie pour que ses parents cessent de se disputer et fassent à nouveau l'amour. Elle n'a pas pleuré à la mort de son frère, comme si ne pas laisser couler les larmes était nier la perte. Elle observe, surveille, tente de comprendre le monde qui l'entoure, rêve "qu'on mette des année-lumière entre nous, les vaches et les têtes de veaux, entre nous et la mort, entre nous et cette vie originelle". Elle attend du secours - "(...) je suis comme la liste de commissions jetée dans la poubelle, attendant qu'une main me lisse et que quelqu'un me lise". Dans son mal-être, elle se cherche mais, aux côtés de la tristesse, grandit aussi la violence et "ce qui nous affecte finit par nous faire tomber en miettes comme un morceau de fromage friable."
Un premier roman qui consacre une véritable écrivaine et qui m'a fait penser à "Débâcle" de Lize Spit. J'y retrouve le même parfum de soufre, la même atmosphère glauque et dure, sans l'impression de malaise que m'a laissée ce dernier. Il y a en effet dans le sombre de Marieke Lucas Rijneveld une réelle beauté, celle du regard d'enfant à la fois candide et lucide, interrogateur et incisif. Jas se joue de cruautés gratuites, la violence se fait exutoire, cependant illusoire; face à la désaffection de ses parents, elle finit par ne plus savoir comment être gaie, seulement vulnérable, si fragile - "De plus en plus souvent, j'espère que quelqu'un va me trouver. Que quelqu'un va m'aider à me trouver moi-même."
Dans ce roman fortement autobiographique, avec des mots justes, tendres, durs, encore drôles, avec des phrases simples qui happent et ne lâchent plus, l'auteure nous dit combien est ardu le voyage vers soi-même, combien sont mortifères les non-dits, qu'un coeur qui reste froid trop longtemps n'arrive plus à se réchauffer. Une histoire triste qui remue les émotions et qui donne l'envie de serrer Jas dans nos bras; une histoire de désespérance, belle parce que la vie c'est aussi cela...
"à l'étoile qu'on désespère de trouver"
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