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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Pureté" Garth Greenwell chez Grasset


Le roman de Garth Greenwell est scindé en trois parties, trois mouvements d'une symphonie sur le deuil amoureux.

Le narrateur, Américain, est professeur de littérature à l'American College de Sofia. Il a remarqué l'un de ses élèves, G., en raison de sa beauté mais aussi "de l'amitié particulière que je pensais déceler entre lui et un autre garçon de ma classe, l'intensité que G. lui consacrait et l'intimité qu'il créait entre eux". Cette intensité lui est familière, écho d'une émotion adolescente. G. l'approche pour se confier et leurs histoires entrent en résonance.

G. est amoureux de longue date de B. qui fait partie de son groupe d'amis. Par peur de le perdre, il ose lui avouer ses sentiments et signe la fin de leur amitié. S'il comprend G., comprend la dévastation, le narrateur échoue à le consoler, impuissant avec des mots qu'il n'a pas trouvés pour lui-même.

Il n'arrive par ailleurs pas à parler de sa propre expérience de l'amour, "de l'amour irrésistible qui avait parfois fait de moi quelqu'un de complètement étranger à moi-même".


"Il s'en sortira, pensai-je à nouveau, me réconfortant moi-même avec cette pensée, et pourtant je me disais aussi qu'il ne s'était pas complètement trompé en disant ce qu'il avait dit, que ce serait une perte s'il en aimait un autre, que la perspective qui limiterait son chagrin limiterait aussi son amour, qu'ayant pris la mesure des limites de l'amour, il ne pourrait plus jamais l'imaginer illimité. Et je m'étais moi aussi déjà fait cette réflexion, combien nous perdons en gagnant cette vision plus vraie de nous-même (...) Comme j'ai rapetissé, me dis-je, via une émotion nécessaire à la survie, et peut-être encore à regretter, je me suis usé jusqu'à atteindre une forme supportable."


Le deuxième mouvement raconte la rencontre avec R., un étudiant portugais contacté sur un site, dont il est devenu fou amoureux. Dans un pays aux idées rétrogrades, leur histoire doit rester secrète. R., qui n'a pas fait son coming-out, s'en accommode, le narrateur aimerait plus de liberté, plus de légèreté. Leur relation amoureuse, fondée sur l'absence d'obligation, laisse présager un avenir commun, la douceur du partage.


"Ils pouvaient faire une vie entière, songeais-je, étonné d'avoir cette pensée, ces moments qui m'emplissaient de douceur, qui avaient changé pour moi la texture de l'existence."


Ses études terminées, R. ne conçoit pas de rester à Sofia, trop sombre, inaccessible parce qu'il ne parle pas la langue du pays. Il assure le narrateur de son amour mais la distance géographique, peu à peu, grignote la bonne volonté et le coeur...


Le troisième mouvement mesure l'absence et sa morsure. Pour échapper à la douleur, le narrateur en cherche une plus grande, se perd dans les méandres de la souffrance de relations uniquement physiques et sadomasochistes. Se perdre pour oublier. À côtoyer les gouffres, ne risque-t-on pas d'y sombrer ?


"On ne pouvait pas tomber plus bas, me dis-je, je ne toucherais le sol que pour le sentir s'ouvrir sous moi, et je me rendis compte avec une peur nouvelle à quel point je me connaissais mal, à quel point il n'y avait pas de fin à ce que je pourrais vouloir ou au châtiment que je chercherais."


Le roman de Garth Greenwell est émouvant et ardent, poétique et sans fard. Il nous donne à voir l'amour, ses bonheurs et ses malheurs, le désir et l'érotisme, les fantasmes et la jouissance. Il y a du sublime dans sa façon de dire l'amour - ses scènes d'amour sont réussies comme peu d'auteurs savent le faire -, y compris dans le penchant pornographique. Il nous parle du courage qu'il faut pour assumer son homosexualité, du poids de la honte imposée par l'éducation et les carcans sociaux. Il interroge la notion de plaisir et celle du châtiment que l'on peut s'imposer, pensant y trouver une porte de sortie. Que cherche-t-on dans l'extrême ? Quelle est la limite à ne pas franchir ? Est-ce quand l'on apprécie la souffrance de l'autre ?

L'auteur nous dit avec des mots vrais, crus, aussi poétiques, que l'amour et le désir peuvent se transformer en champ de bataille, nous engager dans une guerre contre un ennemi intime, et que le deuil amoureux est une véritable épreuve à laquelle l'on pense ne pas avoir la force de survivre, l'autre emportant toujours une part de nous en s'en allant.


Un dernier mot sur le titre, "Pureté". Je l'entends comme une authenticité envers soi, la découverte de la personne que nous sommes profondément, à travers les coups supportés vaille que vaille mais aussi à travers le regard que l'autre pose sur nous.


"Le sexe n'avait jamais été joyeux pour moi jusqu'alors, ou presque jamais, il avait toujours été crispé par la honte, l'angoisse et la peur, qui toutes disparaissaient à la vue de son sourire, tout simplement disparaissaient, il projetait sur tout ce que nous faisions une sorte de pureté."



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