Le roman s'ouvre sur une scène "de fin", celle à partir de laquelle il faut remonter le fil du temps pour en comprendre le sens. Willem Zengler s'adresse à sa jeune épouse dans le coma, il voudrait savoir à quoi elle pensait quand elle est descendue du trottoir devant le bus, au lendemain de leur mariage. Selon le chauffeur, elle avait l'air "d'être en train de décider quelque chose".
Abby Hayman a vingt ans, elle est discrète et méfiante, trop sensible aux humeurs des autres, "une gentille frimousse pâle et candide constellée de taches de rousseur". Abby se sent reconnaissante envers son mari qui a effacé le nom de Hayman avec celui de Zengler. Elle est aimée et mariée, elle est en sécurité. Sauf que les cauchemars qui ont accompagné son enfance après la disparition de ses parents et qui avaient disparu reviennent le matin de son mariage. Les squelettes menaçants l'envahissent à nouveau de leurs voix glaçantes - "Tu croyais pouvoir nous échapper ?"
"Squelette. Un affreux mot (adulte) à ne pas dire tout haut. Un mot qu'un enfant ne devrait pas connaître, et qu'un enfant ne prononcerait certainement pas. Un mot qui devient de plus en plus affreux à mesure qu'on le prononce. Un mot qui fascine, pareil à de la vapeur empoisonnée montant jusqu'à tes narines, dont tu sais qu'il ne faut pas la respirer et que pourtant tu ne peux pas t'empêcher de respirer."
Que disent ces cauchemars ? Pourquoi Abby cache-t-elle son nom de baptême ? Pourquoi trompe-t-elle Willem en lui "dissimulant la véritable nature de son âme, qui est tachée, ternie, aussi immonde qu'une éponge sale" ? Pourquoi croit-elle ne pas être digne du bonheur ? Pourquoi ses parents ont-ils disparu lorsqu'elle avait cinq ans sans plus donner de nouvelles ?....
Joyce Carol Oates, un talent pur comme le diamant ! Sa plume est intarissable et prolifique et garde une incontestable qualité. Dès les premiers mots vous êtes happé, captif et vous la suivez sans rechigner jusqu'au bout de l'horreur tant l'auteure excelle à mener une intrigue qui pique la curiosité, divertit et questionne. Dans "Poursuite", elle nous parle de la culpabilité que l'on peut porter bien malgré nous, endossée à un âge où l'on ne connaît pas la signification du mot; un poids qui oriente toute notre vie, une blessure d'enfance jamais cicatrisée - un thème récurrent dans l'oeuvre de Joyce Carol Oates. Elle s'intéresse, comme dans "Un livre de martyrs américains" à la question de la foi et des interdits qui transforment les désirs en péchés; elle dit la violence pernicieuse, la peur paralysante, le tragique de nos vies. Elle est maître dans l'art de mettre au jour les parts les plus sombres de l'âme humaine. Lisez ! lisez TOUT Joyce Carol Oates.
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