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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"On était des loups" Sandrine Collette - Lattès


J'avoue avoir eu un peu de mal à entrer dans l'histoire en raison du style : des phrases brèves, peu construites, proches de l'oralité, à la ponctuation chahutée. Et puis, très vite, j'ai été prise dans les rets de ce qui est un long monologue, celui d'un homme qui se raconte et nous dit de quelle façon un tragique événement a irrémédiablement bouleversé sa vie.

Une enfance faite de coups de trique donnés dans les vapeurs de l'alcool, une absence totale d'amour, ont fait fuir Liam de la maison familiale dès ses dix-huit ans. Direction la montagne et ses bois, sa sauvagerie sans fard, sa beauté. Il a vingt-deux ans quand il rencontre Ava dans un boui-boui local. Elle est encore étudiante, ignore quelle direction donner à sa vie. Il en est étonné, lui qui a toujours su. Elle le suit dans son repaire, décide de s'y installer, amoureuse. Mais Liam s'absente pendant de longues périodes, il chasse pour les nourrir, aussi pour vendre les peaux.


"Parfois je me demande ce que cela veut dire et comment qualifier les sensations enivrantes quand je cours une piste pendant des jours, comment dire encore que je n'aime pas la chasse alors que je vis par elle et pour elle alors je rectifie dans ma tête : je n'ai pas le goût de la mort des bêtes."


Laissée à une solitude non voulue, Ava pense à un enfant. Liam rechigne, ne sont-ils pas bien ainsi ? Il finit par lui céder, Aru pointe le bout du nez, un fils qu'il ne voit pas grandir, qui le laisse indifférent. Son fils qui, malgré tout, l'accueille toujours avec une pétillante effusion de joie à son retour de la chasse.


"C'est là que c'est bizarre chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre et c'est de l'émotion que je n'arrive pas à retenir, de l'émotion de voir qu'il m'attend et qu'il n'attend que moi et sur son visage le bonheur qu'il y a je ne peux pas l'expliquer c'est immense - mais c'est aussi une sorte de pitié effrayante quand je le regarde cavaler pour me rejoindre, il est tellement petit tellement faible ça me fait peur ça me fait de la tristesse à me broyer (...)"


De retour, un jour, de la poursuite d'un loup qui rôde trop près de leur maison, histoire de lui montrer qui est le maître, Liam ne voit pas Aru venir l'accueillir et trouve Ava morte sous les griffes d'un ours, son fils caché sous elle, protégé.

Que faire de ce gamin de cinq ans ? Incapable de changer de vie, Liam peut-il l'imposer à son fils ? La moitié de son monde vient de s'écrouler, il refuse d'abandonner ce qui constitue l'autre moitié, la chasse, sous peine de perdre la raison. Garder l'enfant qui le ramènera sans cesse à Ava ?


"Dans ma poitrine ce n'est pas un jeu de chaises musicales et le vide qui y est n'a pas besoin d'être rempli, juste c'est du vide et je regarde le gosse et la tête me tourne."


Que faire, oui, que peut-il bien faire de ce petit homme qui lui ressemble déjà tant - la même façon de se tenir penché vers l'avant, en tension, les oreilles aux aguets, la même façon de s'ouvrir au vent en chevauchant, la même façon de chanter avec les loups ?


En mots économes et âpres, dans une intrigue qui augmente en suspense, Sandrine Collette cerne la dévastation de la perte d'un être cher, l'incommensurable chagrin - Liam s'effrite en morceaux de tristesse, il n'est plus que béance. Elle dit avec finesse le désappointement face à des situations qui nous dépassent, des sentiments que l'on n'a pas appris à gérer - Liam, issu d'une famille de tarés, générations de brutalité, ne sait pas comment parler à un enfant ("Je crois que j'accepte simplement que ce soit un gosse et ce n'est pas si facile quand soi-même on n'a pas eu d'enfance on ne sait pas ce que c'est."). Et pourtant, peu à peu, son coeur se désincarcère des murs érigés et de l'homme naît le père, par la grâce d'un fils. C'est l'histoire, touchante, d'un homme mis à nu.


Parution le 24 août 2022.




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