Quel roman sensationnel ! Fin, sensible, profond, riche de réflexions si personnelles, pourtant si partagées.
Laurence Tardieu y interroge le rapport à la maternité.
Depuis toujours, Hannah vit avec une peur sourde au creux du ventre sans pouvoir la nommer, sans être capable de la faire taire. Petite fille, elle agaçait son frère Simon avec ses sempiternelles questions sur la mort, le sens de la vie, cherchant auprès de lui des explications qu'il n'avait pas. Son indisposition à la vie la plonge dans des abîmes de désespoir auxquels elle ne survit que grâce à la peinture dont elle a fait un métier. Grâce à elle uniquement, elle arrive à se sentir en adéquation avec le monde. Une stabilité délicate qui sera dynamitée quand sa fille unique, Lorette, disparaît à 19 ans sans plus donner de nouvelles, l'enfermant dans un espace de questions sans réponse. Sept ans plus tard, Hannah a réappris à respirer lorsqu'elle croit reconnaître Lorette, au hasard d'une flânerie sur les trottoirs de Paris, une apparition de quelques secondes qui la fait s'effondrer. Elle se souvient avoir été démunie face au bébé hurlant qu'était sa fille, qu'elle ne la comprenait pas, effarée de se sentir si peu concernée, de regretter avec envie sa vie d'avant. Elle a pourtant appris à aimer sa fille, à être heureuse de sa présence, à la découvrir. Que s'est-il passé ?
L'auteur se penche aussi sur le couple et ses transformations.
Celui d'Hannah que son mari, Philippe, a quittée un an après la fuite de leur fille, impuissant à gérer les angoisses de son épouse, incapable de combler le fossé qui peu à peu les a éloignés.
Celui de Simon et Claire, dont l'amour fou, joyeux, sensuel a sombré dans des échanges atrocement banals, une vie à deux perdue dans les brumes du quotidien.
Celui de Lydie et Paul, les meilleurs amis d'Hannah. Vingt ans de vie commune, de bonheur sans nuage, jusqu'à ce que Paul retrouve Marie, celle qui fût sa première élève, à présent une femme qui le trouble, réveillant des sentiments jadis tus.
En vérité, ce qui semble laminer est le temps qui passe et nous rapproche de l'échéance, accompagné de cette terrible impression d'accélération - profiter de l'occasion, au risque de faire mal ? Peu à peu, nous sommes pris par un sentiment d'oppression parce que le champ des possibles se rétrécit, ma vie perd de son infini... Ce constat nous rend-t-il plus forts ou plus vulnérables ?
Je pense que la vie est faite de ratures, de rayons de soleil, de rencontres qui illuminent et sauvent. Je suis persuadée qu'il est essentiel d'avoir dans son existence quelque () de puissant qui donne du souffle et nous met en mouvement. Parce que la vie est brève et passe comme un songe, vous vous rappelez ?
"C'est bizarre la vie... Un jour on se dit que c'est tellement beau, que ça procure un bonheur énorme, on a l'impression que notre coeur ne peut pas contenir tout ce bonheur, qu'il va éclater, et le lendemain, il suffit d'un rien, on se dit qu'on n'y arrivera jamais, qu'on est totalement désaccordé." p.115
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