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  • Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Mike" Emmanuel Guibert chez Gallimard, collection Sygne


"Mike" est un bijou de sensibilité et d'intimité pudique dans lequel Emmanuel Guibert parle de son amitié avec Michael James Plautz, de la vie en général et en particulier, de son amour pour l'art, principalement le dessin - il est l'un des maîtres de la bande dessinée contemporaine, papa d'Ariol.


Emmanuel a rencontré Mike et sa femme Gloria un soir de septembre 2007 grâce à Juliette, une amie commune. Juliette, l'intrépide, Juliette, la droiture incarnée, qui a dirigé des "missions clandestines de Médecins sans frontières en Afghanistan entre 1979 et 1989, pendant l'occupation soviétique". Mike est architecte-dessinateur, grand voyageur dans l'âme; Gloria est professeur d'anglais et d'espagnol, alors à la retraite. Ils se connaissent depuis le jardin d'enfants, chacune de leurs pensées, de leurs qualités, de leurs habitudes, de leurs cellules est reliée par d'invisibles fils, en parfaite symétrie. Ils vivent entre Minneapolis et Santa Fe, ont une fille et deux petites-filles. Ils n'auraient pas pu vivre mieux qu'ensemble.

L'entente est immédiate avec cet homme grand et doux qui ne parle pas français. Leurs chemins se recroisent de temps en temps, Mike invite Emmanuel à Santa Fe, il lui enseignera l'art de la lithographie. Emmanuel y répond terriblement tard, quasi trop tard, pensant Mike à l'automne de sa vie alors qu'il en est déjà à l'hiver. La maladie frappe, impitoyable de violence, qui cependant n'abat pas Mike, lui laisse le goût du dessin jusqu'au bout, le goût d'écrire et de transmettre. Du 31 décembre 2011 au 3 janvier 2012, Emmanuel lui tient compagnie, ultimes adieux. C'est pour lui l'occasion de réfléchir sur ce que l'absence des êtres aimés laisse de gouffre en nous, sur ce qui nous fonde, sur notre bagage sensible. Il a précédemment accompagné un ami, Alan, pendant ses derniers jours.

"Cet univers disparu, quand le mort était un parent ou un ami, j'y vivais. Mes proches sont détenteurs d'un film sur moi qui s'efface à la seconde où ils cessent de respirer. On voit bien le désarroi des grands vieillards ou des rescapés des génocides qui n'ont plus autour d'eux personne qui les ait connus dans le passé. Tous les leurs sont morts. Leur identité n'est plus de ce monde, elle est sous terre avec eux (...) C'est une façon de mourir avant de mourir que tant d'aspects de nous soient gommés à la mort des autres."

Les amitiés sont précieuses, elles nous ouvrent des perspectives, nous donnent confiance en nous.

"Il m'est arrivé, comme à tout un chacun, de ne pas être là pour serrer des mains au bon moment. Je ne veux pas vivre ça avec lui."

Et il y a le dessin, ce dernier dessin qui les lie et que Mike voulait qu'ils dessinent ensemble, le dessin partie prenante de la vie de l'un et de l'autre.

"Quelque part sur terre, ignoré de nous, impossible à identifier, il y a le premier dessin qui se soit conservé. Mike me fait toucher du doigt le dernier. Un jour, l'amorce du premier rejoindra la chute du dernier dans une continuité que seule notre disparition comme espèce interrompra. Entre les deux, toute notre trajectoire se dévidera sans interruption, en autant de pointillés qu'il y aura eu de dessinateurs. Nulle activité humaine n'aura produit un aussi long ruban sans se transformer d'un iota."

Le dessin est comme un don de seconde vue, il permet de prendre de la distance tout en voyant mieux, il est "une tentative herculéenne de rester conscient, de rester en vie."

"Dessiner, ce n'est pas tant accumuler des carnets sur une étagère que s'incorporer le monde et en être toujours occupé. C'est aussi, grâce à une mémoire des formes entretenue, faire dialoguer le monde présent et celui des souvenirs. Tirer constamment des traits entre ce qu'il voit et ce qu'il a vu."

L'on n'écrit jamais avec autant d'intensité et de chaleur que quand l'histoire nous touche au plus profond. Emmanuel Guibert en est un magnifique exemple. Son récit est interpellant autant que bouleversant. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de se dire adieu, il y a des moments saisis, généreusement partagés, des regards et des caresses, la douceur de l'étreinte.

"Il ne faut être nonchalant en amitié avec personne (...) On doit faire turbiner les sentiments à plein régime."





Emmanuel Guibert




Michael James Plautz

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