Le roman s'ouvre sur ces phrases fortes : "Je pense que je suis brisée. J'ai l'automne à l'envers. En dedans au lieu d'en dehors. Humide, tiède dans le creux des joues. Du vent qui craque dans la cage thoracique. C'est octobre. Ma mère est morte et j'ai pas encore pleuré." Ils sont de V., la narratrice. Elle est revenue de Montréal en Gaspésie pour enterrer sa mère dont le corps a été rejeté par les eaux du Saint-Laurent, un suicide. La Gaspésie, terre du bout du monde pour laquelle elle a des sentiments contradictoires - "Je l'ai au plus profond la Gaspésie. Du cul ou du coeur, c'est difficile à dire." -, qu'elle avait fuie pour échapper à cette mère trop coléreuse, borderline, "grand'folle", qui aimait ses enfants mais si mal, celle qui soignait ses furies dans les eaux tumultueuses, une femme-sirène. Après avoir renvoyé sa soeur Anaïs chez elle, V. poursuit la dure tâche de vider la maison, déterrant le passé, s'interrogeant sur les souvenirs, prenant conscience qu'elle n'a plus rien à haïr. Je vous transcris ce passage de toute beauté :
"Des fois j'aimerais ça me rappeler des choses que je me rappelle pas. Comme ma naissance. Le première chose que j'ai vue. La première chose qui m'a fait rire. Qui m'a fait pleurer pour de vrai. La première fois que j'ai eu mal. J'aimerais ça aussi avoir pris une photo mentale de moi pendant des moments importants pour pouvoir me les rappeler quand je vais être vieille. Je prends pas la peine de me souvenir de moi. De quoi j'avais l'air en dedans quand je suis tombée en amour. A quel âge j'ai eu peur de mourir pour la première fois. Et toutes les autres. Les fois où je me suis perdue, les fois où je suis partie, celles où j'aurais voulu rester."
Elle trouve à la cave les nombreux carnets écrits par sa grand-mère maternelle morte avant sa naissance. Sa mère ne la voyait plus mais les avait conservés. V. s'y plonge et découvre une femme aux petits soins pour ses enfants, une femme triste de disparaître derrière son rôle de mère, une femme attachée à sa terre natale, l'Islande, mais ancrée dans la Gaspésie. Au fil des mots, V. constate qu'elle vient d'une lignée de femmes des vents, des femmes libres à la rencontre desquelles elle part, enfin. Sa galaxie.
"Je pars. Pas pour toujours, mais je pars. Je suis les femmes devant moi. Je vais à leur rencontre. Ma grand-mère aventureuse ma mère vagabonde. Mes insoumises. Je me sauve, dans tous les sens."
Parce que, comme "les os mal soudés qu'on casse à nouveau pour qu'ils guérissent mieux", elle doit cesser de fuir, de se fuir, pour se ré-apprivoiser, affronter ses propres falaises, ces vertiges intimes aux bords desquels il faut arriver à danser pour trouver le point d'équilibre.
Un premier roman beau d'émotions brutes, de celles qui nous reviennent sans crier gare, en pleine face, en boomerangs. Un roman hommage à la nature, bouée de secours de nos noyades. Un roman à la fougue énergisante et vitale portée par des idiomes locaux, des mots francs et cash, reflets d'une mise à nu. L'écriture est celle du corps dans ses failles et ses forces, l'émotion se fait physique, palpable, dans ce roman puissant qui nous parle d'amour, de perte, de mélancolie et de ce qui nous fonde.
"Les femmes de ma vie. On se succède sans se voir, comme des ombres qui courent devant les miroirs, sacrent des coups de poing dedans et continuent leur route pour voir le monde."
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