Elliot Ackerman est un vétéran du Corps des Marines, ancien membre des Forces spéciales avec lesquelles il a effectué des missions en Irak et en Afghanistan. Ayant déposé les armes, il s'est emparé de la plume, riche de ses expériences, pour nous livrer avec ses romans de justes réflexions sur l'engagement et les dommages irréparables causés par les guerres.
Nous rencontrons ici Haris Abadi, Irakien de souche, originaire de Nasiriya, son berceau, sa patrie. Sans plus de famille autre que sa soeur Samia, responsable de la vie de celle-ci, il décide de la mettre à l'abri aux U.S.A. Arrive le temps où elle vole de ses propres ailes et où Haris se sent démuni, vide : quel sens donner à sa vie désormais ? Aussi être parti lui laisse un goût de culpabilité. Alors, il s'engage dans une brigade dissidente, la Tempête du Nord, qui en Syrie combat le gouvernement de Bachar. Pour la rejoindre, il doit traverser une frontière fermée depuis peu.
"C'était à des actes dont il ne tirait aucune fierté qu'il devait sa citoyenneté américaine. Après avoir quitté l'Irak, il avait gagné son salaire dans le Michigan grâce à un travail ingrat qu'il détestait. On lui avait maintenant donné une chance de se réinventer, de se racheter - à condition de pouvoir traverser la frontière."
S'étant fait dépouiller de son argent et de son passeport par un passeur jouant un double jeu, il décide de suivre, à Antep (en Turquie), Amir qui lui a proposé un travail, l'occasion de se refaire pour pouvoir passer en Syrie. Amir travaille dans une société d'études chargée d'évaluer la situation humanitaire pour des gouvernements et des associations caritatives. Il est marié à Daphne, professeur de français qui fait du bénévolat à l'hôpital local. Leur couple est mis à mal par la perte de leur fille unique et par leur exil forcé. Leurs douleurs se reconnaissant, Haris et Daphne deviennent intimes. Ils se sentent tous deux piégés dans des situations qui ne leur conviennent pas. Elle veut traverser avec lui, retrouver son foyer et sa fille dont elle est incapable d'admettre la mort. Mais peut-on réparer ce qui a été détruit ? Et que reste-t-il à perdre ?
Comme dans son précédent roman, le puissant et bouleversant "En attendant Eden", Elliot Ackerman interroge l'engagement - "Etait-il venu ici pour se battre contre le régime, ce qu'il pourrait toujours faire aux côtés de Daech, ou pour les idéaux de la révolution démocratique, ce qui semblait sans espoir." S'agit-il de véritable patriotisme ou de la recherche d'une satisfaction de pulsions primaires ? Et sous les bombes, face aux horreurs impitoyables qui finissent par laisser hébété, voire insensible, le temps passant, ne perd-on pas de vue les raisons qui nous ont projetés dans la bataille ? Il nous parle des dommages collatéraux - notamment les nombreux réfugiés chassés par les combats à mort - et des conséquences de la guerre, physiques et surtout psychiques, lorsque l'on se voit passer des accords peu moraux avec soi-même.
Il raconte les sursauts de conscience qui nous gardent humains et nous font affronter les dangers, parce qu'en dehors de cela nous ne sommes pas grand-chose. Agir, donc, au risque de se perdre. Ce que l'on entend dans le titre anglais, si parlant : "Dark at the crossing". "Dark", les ténèbres, la fin...
L'écriture d'Elliot Ackerman est épurée et sans pathos qui nous donne à voir ce qu'il reste de notre humanité dans la guerre et ce sans aucun jugement de morale.
"La clé pour effacer un acte, c'est peut-être d'agir."
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