Comme Jo Nesbo qui a, d'une plume remarquable, adapté le "MacBeth" de Shakespeare en le transposant quelque part aux Etats-Unis dans les années 70, Tracy Chevalier s'essaie à l'exercice et choisit "Othello".
Souvenez-vous : Othello, le Maure de Venise, fut accusé d'avoir séduit et déshonoré la belle Desdémone, fille de Brabantio, un Magnifico (Sénateur) de la ville. Réhabilité, il part défendre Chypre contre les Ottomans. Iago, qui convoitait la place de second auprès de lui, place octroyée à Cassio, intrigue pour se venger et sème le doute dans l'esprit et le coeur d'Othello : il semblerait que Desdémone et Cassio soient amants... Un simple mouchoir offert par Othello et soi-disant donné par Desdémone sera l'étincelle qui mènera au drame.
Tracy Chevalier choisit Washington, les années 70 et une cour d'école pour décor. C'est là qu'entre en scène Osei Kokote, à un mois à peine de la fin de l'année scolaire. Il a douze ans, est fils de diplomate et originaire du Ghana. So shocking ! Son exotisme ne sera pas du goût de tous...
Alors que sa soeur aînée Sisi assume sa couleur de peau et ses racines - de manière rebelle et extrême au point de rejeter tout ami blanc -, Osei a hérité du caractère accommodant de son père; il est discret et ouvert. Cependant, s'il a appris à se conformer à ce que l'on attend de lui, il préfère que l'expression du racisme soit claire, ce qui lui permet d'être franc à son tour. Il connaît les jeux de pouvoir.
Osei, le nouveau, l'étranger, est habitué au changement et sait le côté impitoyable des cours de récréation. Il est heureusement étonné quand Dee, la fille la plus populaire de l'école, se rapproche de lui en une entente immédiate mêlée de fascination mutuelle. Une amitié qui n'est guère du goût de Ian, garçon brutal et malsain qui va faire oeuvre de ses dons de manipulateur pour les séparer.
En une journée, dans la cour où les jeux ne sont plus vraiment innocents, va se jouer un drame où il est question de jalousies de territoires comme de popularité, de mépris, de colères, de peurs, de fourberies et de cruautés.
D'une plume qui se veut neutre, retranchée derrière le propos, Tracy Chevalier nous livre un "Othello" en culottes courtes où une cour de récré se transforme en petit théâtre conviant sur les planches un panel exhaustif des sentiments humains. Un roman implacable et bouleversant qui parle de ce racisme ordinaire que les enfants copient des adultes. Et l'unité de temps et de lieu donne une force exceptionnelle à l'intrigue au dénouement inéluctable.
Pari réussi !
J'en profite pour saluer ici le traducteur David Fauquemberg auquel je voue une véritable vénération pour le magistral "Bluff" paru chez Stock en 2018.
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