Le lièvre d'Amérique est un animal à la silhouette élancée, aux oreilles longues, au pelage roux. Il est discret, solitaire et dort peu, toujours aux aguets. Voilà la description - sommaire - de l'un des principaux protagonistes de l'histoire. L'autre est Diane, originaire de l'Isle-aux-Grues dont, à quinze ans, elle ne supportait plus l'isolement, oppressée par ce lieu où le temps se morfond. Et puis est arrivé Eugène, venu de la ville. Il a seize ans et est passionné par le comportement des animaux, sauvant les lièvres des pièges. Diane a vite deviné sa part d'ombre : que fuit-il ? pourquoi a-t-il peur de quitter l'île ?
Peu à peu, ils se rapprochent, leurs défenses tombent. Jusqu'à ce qu'Eugène disparaisse, laissant Diane avec ses questions, lui donnant une raison de plus de fuir, fuir un amour naissant qui lui donnait une consistance.
Quinze ans plus tard, Diane vit seule dans un appartement high-tech, a coupé tout lien avec sa famille, son île, n'a pas d'amis. Une collègue va venir secouer son petit monde bien réglé, cette femme belle, compétitive et parfaite selon elle la fait vaciller. Cette même collègue, devinant le désarroi et le besoin de perfection de Diane, lui donne une adresse, celle d'une clinique médicale baptisée Génomixte. Rendez-vous pris, opération faite, elle observe les changements en elle avec curiosité, excitation... puis désarroi.
Un roman déroutant et étonnant qui parle de l'envie de perfection, de la volonté de tout maîtriser, pour évacuer doute et peur. Diane vend son âme au diable et ce n'est pas sans conséquences. Ce roman m'a fait penser à Thomas Gunzig et son superbe "Manuel à l'usage des incapables" où il imaginait l'humain upgradé de gènes animaux. Fascinant !
Mireille Gagné nous parle de ce qui nous blesse et de comment nous pouvons l'affronter - en fuyant ou pas. Diane a été profondément meurtrie de la disparition d'Eugène qui lui ouvrait un horizon, alors elle a pris de radicales décisions, jusqu'à se perdre. La perfection qu'elle recherchait cachait un mal-être qui l'isolait et la rongeait et lorsqu'elle a pris le parti de tout quitter et de retourner à ses origines, c'est pour se retrouver, se reconnaître à nouveau.
"Diane ne se souvenait pas de cette impression de faire entièrement partie du paysage, de la proximité des grandes oies des neiges, comme si elles piétinaient sa peau. C'est sûrement ça qu'elle avait oublié en partant subitement. L'appartenance."
L'appartenance, l'ancrage, le sens de nos vies...
Diane s'est perdue et a retrouvé son chemin grâce au lièvre. La légende dit qu'il est l'incarnation du fils du Vent, Nanabozo, qui veille sur ceux qui se sont égarés.
Un roman-fable à la sagesse intemporelle, original et interpellant.
Courons mais ne nous fuyons pas nous-mêmes.
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