Nous retrouvons ici les personnages de "Bienvenue au club" et de "Le cercle fermé", la famille Trotter et cie. Les années 70 de l'enfance, l'amitié, les premiers émois amoureux, la révolution ouvrière, les grèves et les bombes de l' I.R.A.; les années 90, l'âge adulte, après les choix et les engagements, les désillusions, l'Angleterre de Tony Blair, la mondialisation, la guerre en Irak.
Et puis, les années 2000 et l'âge mûr des deuils, des bilans. Benjamin Trotter a passé 50 ans et vient d'enterrer sa mère, se retrouvant à devoir prendre soin de son père de 82, qui en 55 ans de vie commune n'a jamais levé le petit doigt et ne sait pas même se faire cuire un oeuf. Il a revendu son appartement londonien, fuyant le bruit, la vitesse, le stress, pour acheter un moulin à la campagne. Là, il vit seul selon son propre rythme et celui de son écriture. Cela fait près de trente ans qu'il s'est lancé dans une somme romanesque sans jamais rien publier. Mais cinq mille pages, est-ce bien raisonnable ?
Autour de lui gravitent les mêmes amis, sa soeur qui ne se remet pas d'un traumatisme de sa jeunesse, sa nièce qui se construit une vie d'adulte.
Jonathan Coe dit avec brio l'intime des vies qui se mêle à l'histoire politique et sociale de l'Angleterre. De 2010 à 2018, la houle de l'actualité conduit au Brexit et malmène les amitiés comme les amours, exacerbe le racisme. La rancoeur se fait de plus en plus vive et explicite envers une élite politico-financière qui demande au peuple de payer ses erreurs, une élite paternaliste qui entretient une certaine intolérance à l'ouverture aux autres cultures. Le pays est dans un état pitoyable et l'on peine à voir la fin d'une politique d'austérité qui a entraîné grogne et fracture sociale.
L'auteur pointe avec malice les malversations et manipulations politiques dans un roman choral qui évite le doux-amer et conserve humour - "() si elle votait pour lui, elle serait la dinde qui vote pour le Réveillon"(p.332) - et causticité. Il y laisse poindre sa colère dans des pages au talent fou.
Certes l'on ne peut tout maîtriser mais nous pouvons garder foi en nos valeurs et croyances et suivre notre cap.
De l'excellence !
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