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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"La fille de cinquante ans" Malin Lindroth chez Globe


"Il y a une cinquantaine d'années, l'expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. 'Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille !'. Aujourd'hui, je rêve d'une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne la propriétaire de son histoire."


Malin Lindroth a seize ans lorsqu'elle se prédit un avenir de vieille fille - pensée magique ? Elle est en voyage d'échange linguistique aux États-Unis, en 1981, et une amie de la famille dans laquelle elle a atterri, une Américaine de pure souche, lui apprend comment se comporter à un premier rendez-vous avec un spécimen du coin et la rassure : "But don't worry, honey ! Nobody will ever want to date you !". Voilà, voilà...


La première fois qu'elle craque pour un garçon, elle est en maternelle, il s'appelle Ulf et elle adore sa chevelure drue. Un amour qui reste platonique, pas même un bisou. En primaire, elle s'amuse à faire des listes, genre "les dix plus beaux garçons", sans plus. Et puis, elle comprend qu'il y a une ligne de démarcation entre les "vraies" filles et les "fausses" : "Je soupçonnais déjà, non, je savais que je me situais du mauvais côté de la ligne. Je portais un appareil dentaire et j'avais des cheveux indisciplinés qui faisaient penser aux poils des cochons d'Inde à rosettes. De plus, j'étais mauvaise dans toutes les disciplines où les filles étaient supposées être bonnes". Le fossé se creuse, elle ne sera jamais du côté de la normalité, boutonneuse, timide et socialement maladroite. Mais qu'est-ce que cette normalité ? Ces normes qui imposent d'entrer dans des cases au risque de se déformer ?

Dans les années 80, elle vit pendant quatre ans une vie de couple, la bague au doigt et tout le toutim. Et puis, à vingt-trois ans, elle rompt, persuadée de retrouver vite un nouvel amour. Trente ans plus tard, elle n'est toujours la femme de personne. Entourée d'hommes, certes, mais pas comme compagnons de vie, plutôt comme amis. Elle est "la princesse du manque, en quête permanente de l'homme de ses rêves, de sexe et de mariage".

Parce qu'elle regrette "d'avoir cru en l'illusion que le silence était le prix à payer pour [sa] survie", elle prend la plume pour réfléchir au "statut" de vieille fille et cherche à "redonner de la noblesse à celui qui désigne la femme de cinquante ans, sans enfants, involontairement seule et qui ne s'est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataire que proposent nos cultures". L'adverbe "involontairement" est parfaitement à sa place, j'adhère totalement : si l'on choisit d'être solitaire, on ne choisit pas la solitude. Malin Lindroth le dit avec esprit : "Si j'avais choisi d'être vieille fille comme on choisit d'être végane, il aurait existé à ce sujet des communautés, des T-shirts, des forums, des tote-bags et des articles que l'on se serait partagés sur les réseaux sociaux. Mais être vieille fille n'est ni un caractère ni le résultat d'un choix". Il y a derrière le fait d'être seule bien plus de complexité que ne le laisse penser la société, des héritages, un inconscient qui occasionnent de la douleur.

"Nous vivons à l'époque de la littéralité, qui est aussi celle de l'explicite. Aucune équivoque n'est possible. Un temps où il n'existe pour ainsi dire pas d'espace pour une collision entre le hasard et le choix, le potentiel et le manque. Ce que moi j'appelle un état. Nous voulons des héros et des victimes. L'émoticône du pouce levé, du coeur ou du visage mécontent. Nous ne voulons surtout pas de quelqu'un qui nous rappelle que la vie est plus complexe que la somme de choix libres et conscients. La vieille fille devient une invitée mal vue dans un canapé de talk-show. Mal considérée au point que beaucoup veulent spontanément proclamer sa mort."

Dans notre monde où la norme, voire la plus haute expression de l'amour, semble encore être la vie à deux, la vieille fille est entachée d'anormalité, marquée des stigmates de l'asociabilité et de l'asexualité, figure de l'échec personnel, entre la pute et la nonne, IMBAISABLE ! À l'inverse, l'homme célibataire est un aventurier, un cow-boy, un artiste, un fêtard ! Comme l'homme qui laisse libre cours à ses désirs est un séducteur, un Casanova, la femme, attachée à son érotique, est une marie-couche-toi-là, une salope. Il y a encore du chemin à parcourir !


Malin Lindroth parle d'elle sans attaque ni victimisation - elle reconnaît d'ailleurs sa part de responsabilité dans son célibat -, avec lucidité - elle avoue ne pas être un prix de beauté, écrit : "Être repoussée n'est pas si grave si on a la capacité de s'en aller" - et humour. Elle a appris la vulnérabilité, que la vie est une confrontation entre le désir, l'impuissance, le manque, le hasard et le potentiel. Avec les mots, elle se soigne, se rassure : "Je veux utiliser l'écriture pour réparer la faille, mais je veux aussi la présenter comme la chose la plus précieuse que je possède".

Il y aura toujours quelqu'un pour vous juger sans essayer de comprendre votre chemin de vie. Un homme, jadis très proche, m'a un jour assurée que je devais m'ennuyer sans enfant dont m'occuper. Sic ! Singulière affirmation... Et, non, je ne m'ennuie pas !


"Chez chacun de nous existe une volonté d'amour incommensurable. Un désir qui naît quelques secondes après notre arrivée au monde. À l'instant où le nouveau-né comprend qu'il est seul et que le chemin qui pourrait le ramener à la symbiose est définitivement fermé. Il passe ensuite une vie entière à tenter d'amadouer ce désir, de le maîtriser ou, dans le pire des cas, de laisser libre cette force insensée. On ne peut pas porter quelqu'un dans son corps, en revanche on peut le porter dans son regard. Celui que je porte dans mon regard est encore libre, mais, en même temps, suffisamment maintenu pour se souvenir de son état primitif. De l'instant avant la solitude. Et c'est beau ainsi."









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