"() la vie, notre présence en ce monde, était une chose bien étrange." p.46
Une voix raconte... un homme de 45 ans, au mitan de sa vie, revient sur les années passées, ce temps si vite disparu sans guérir certaines blessures, sans retenir ces rêves abandonnés en bord de chemin. Cem désirait être écrivain, il est ingénieur géologue, comme une dette payée à celui qui fût pour lui un père de substitution.
Il a seize ans lorsque son père biologique, pharmacien, bel homme et activiste politique, disparaît du jour au lendemain sans plus donner de nouvelles. Cem est promu, bien malgré lui, l'homme de la famille. Pour payer son entrée à l'université, il se trouve un job dans une librairie et accepte d'être le manoeuvre d'un puisatier, Maître Mahmut. Ce dernier, outre qu'il lui apprend le métier, l'ouvre aux merveilles inépuisables des mythes. L'été d'alors est marquant tant en raison d'un terrible incident qui fait découvrir à Cem la culpabilité, que grâce à la rencontre de la sublime et sensuelle "Femme aux cheveux roux". Gülishan fait partie d'une troupe de théâtre et tourne les sens de l'innocent jeune homme. "Nous nous étions regardés comme si nous cherchions tous deux la trace d'un souvenir, avec une insistance presque inquisitrice." p.39
Elle devient son obsession, le révèle à lui-même, l'ouvrant à l'amour et à la jalousie.
Vingt ans plus tard, Cem se souvient...
Un roman-fable magistral qui fait appel aux textes originels, ces mythes qui tentent d'expliquer le monde : l'orgueil, la vanité de l'héroïsme, la faiblesse des hommes, leur farouche individualisme.
Résonne dans ces pages l'écho de la voix d'OEdipe, malmené par les dieux et leurs jeux cruels.
Orhan Pamuk interroge avec finesse la filiation et le rôle du père dans un récit qui se veut une parabole sur le pouvoir : le père cruel est un reflet du régime turc autoritaire et arbitraire; la Femme rousse, insolente et libre, symbolise la résistance face à la répression des différentes formes d'expression, surtout l'art qui se veut universel et engagé.
Orhan Pamuk résiste de belle façon !
"Nous voulons un père fort, ferme et constant, qui nous dise ce qu'il convient de faire ou pas. Pourquoi ? Est-ce parce qu'il est difficile de distinguer ce qu'il faut faire de ce qu'il ne faut pas faire, de discerner un acte juste et moral de l'erreur et du péché ? Ou est-ce parce que nous avons sans cesse besoin d'entendre que nous ne sommes ni coupables ni pécheurs ? Existe-t-il un besoin permanent du père, ou bien recherchons-nous le père dans les moments où nous sommes en proie à l'incertitude, où notre monde s'écroule et où nous sombrons dans la dépression ?" p.177
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