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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"L'ami arménien" Andreï Makine chez Grasset


"Aimer quelqu'un c'est l'aider à vivre."

Marceline Loridan-Ivens



Andreï Makine nous raconte l'un de ses souvenirs chers, quelques mois de sa vie qui l'ont fait grandir et qui ont ouvert son regard.

Nous sommes dans les années 70, il a treize ans et est dans un orphelinat en Sibérie. Il rencontre Vardan qui a un an de plus, Vardan dont la complexion malingre et l'étrangeté en font le bouc-émissaire tout désigné aux yeux des petits caïds de l'école. Andreï prend sa défense, il se sent appelé là protéger ce garçon fragilisé par une maladie à laquelle il n'échappera pas, se faisant "sentinelle de sa vie menacée".

Vardan l'emmène où il habite, un quartier nommé le "Bout du Diable", lieu de vie des exilés arméniens, près de la prison où sont retenus certains des leurs en attente d'un procès qui les condamnera certainement au goulag. Il y fait la connaissance de Chamiran, la mère de son nouvel ami, une femme imposante aux yeux sombres et au sourire doux; de Gulizar, une belle trentenaire pour laquelle il éprouve un émoi amoureux; de Sarven, le gardien du lieu, moustachu placide qui a construit la même horloge solaire que celle de sa maison natale pour marquer les heures de là-bas, oreille attentive des trous à l'âme des autres.

Vardan lui révèle la tragique histoire du peuple arménien, l'ouvre à la mémoire. Avec lui, il apprend que le ciel commence tout près du sol, sous les semelles des vagabonds, que nous pouvons rejeter la violence et lui préférer la solidarité et la fraternité, que nous avons la capacité de penser par nous-mêmes, de nous éloigner d'une voie unique admise, de nous décaler quitte à être traités de "pas normaux".


Andreï Makine, de sa plume épurée, classique, séduisante, nous parle d'exil et de l'importance de se reconstruire dans l'ailleurs un chez-soi, d'amour et d'amitié, aussi de la notion d'humanité qui a tendance à disparaître.


"Ce monde nouveau, de plus en plus envahissant et "mixé", de la Sibérie à New-York, n'aurait plus trouver un pouce de terre pour abriter la petite cohorte d'exilés, avec leurs souvenirs, leurs espoirs et ces deux photos de famille dans la chambre où Vardan dormait sur son lit fait de valises. Du haut de l'ancien rempart, les mots d'ordre publicitaires enjoignaient de consommer à l'infini, d'assouvir une multiplicité de désirs immédiats, de changer continuellement de "localisation", de brasser les cultures, de célébrer les exotismes. En marchant sur les lieux des temps disparus, je me demandais ce qu'il y avait d'exotique dans la vie de Vardan et dans la mienne en ces années de l'empire communiste finissant. Une grande ville sibérienne, un quartier miséreux d'où l'on sortait rarement et, derrière le rempart - ces fenêtres quadrillées d'épais barreaux -l'antichambre des camps. Cette existence ne pouvait paraître que monstrueusement exiguë aux humains d'aujourd'hui, fiers de leur "citoyenneté mondiale" et ne jurant que par la "culture-monde". Pourtant, cette modernité-là qui se prétendait unie par la connexion de tout et de tous s'enfermait, en réalité, dans une surdité progressive."


Son récit évite l'apitoiement et les larmes, baigne dans la douce lumière sépia des souvenirs qui nous fondent et est un poignant hommage à l'ami trop tôt disparu.


"Il m'a appris à être celui que je n'étais pas."


"(...) nous nous résignons à ne pas chercher cet autre que nous sommes, et cela nous tue bien avant la mort - dans un jeu d'ombres, agité et verbeux, considéré comme unique vie possible. Notre vie."


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