J'ai découvert, avec ses romans "Les Monstres de Templeton" et "Les Furies", une auteure à la plume fine et originale, maîtresse dans l'art de décrire la vie dans ses moindres facettes. Elle gratte la chair jusqu'aux tréfonds de nous pour débusquer ce qui y est enfoui : les peurs, les secrets, les rêves fracassés, les pensées et les gestes honteux, l'indicible...
Elle nous revient avec un recueil de nouvelles dans lesquelles nous retrouvons ses thèmes chers, mais le ton ici se fait étrange, par moments même complètement déjanté. Bien loin de la Floride de carte postale, Lauren Groff nous entraîne dans un univers fantasmagorique aux ombres inquiétantes, aux ténèbres affamées, un monde où le règne animal sans être toujours menaçant est tout-puissant. Il n'est cependant pas le plus à craindre : c'est bien notre monde intérieur qui l'est.
L'auteure s'interroge sur les motivations de nos actes - sont-elles toujours pures ? -; sur la réelle connaissance que nous avons de l'autre - saisir cet autre comme une équation, dans sa pureté, son intégralité, n'est-ce pas illusoire ?; sur les raisons qui nous poussent à certains moments à ne plus voir la beauté du monde et les promesses qu'il nous offre; sur les moyens d'échapper aux angoisses, sombres épines, qui viennent nous étouffer; sur la solitude, parfois fléau parce que pour l'esprit qui réfléchit elle se peuple de fantômes.
La nouvelle que je préfère est celle qui raconte l'histoire de cette femme entre deux âges refusant de quitter sa maison, perdue au milieu des champs, pour échapper à la terrible tempête approchant. Si elle est impuissante à sauver ses animaux, elle a foi en la demeure qui a défié les siècles et leur charroi de malheurs. Au fil des heures de vents violents et de pluies torrentielles, les hommes disparus qu'elle a aimés viennent la visiter. Il y a son mari, un homme de trente ans son aîné, un poète dont elle a été amoureuse dès que leurs regards se sont croisés; son premier petit ami, cachant sous la joie un mal de vivre qui l'a conduit au suicide; son père adoré emporté par un cancer. Autant de tempêtes intérieures plus féroces que les déchaînements de la nature.
Il y aura toujours dans nos vies, en embuscade, ces tempêtes et leurs gouffres. Les mystères et les pires menaces semblent être d'ordre humain, émotionnel, psychique.
Avec brio et esprit, Lauren Groff s'intéresse aux multiples dichotomies de nos vies - plaisir/douleur, espoir/désespoir, amour/fureur - et tente de voir ce qui se cache derrière ces connexions, de définir ce qui nous rend vivants.
Des nouvelles surprenantes, intranquilles, ensorcelantes qui parlent aussi de féminisme et de défaite écologique.
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