Stephen Maserov a quitté l'enseignement pour devenir avocat, d'un commun accord avec sa femme Eleanor, elle-même enseignante, afin de pouvoir boucler les fins de mois sans stresser outre-mesure. La bonne intention a cependant un effet pervers quand Stephen commence à travailler au cabinet Freely où il ne compte pas ses heures, ce qui met à mal l'équilibre fragile de leur couple. Leurs libidos en berne et l'arrivée d'un deuxième garçon n'arrangent rien. Eleanor propose alors une séparation provisoire, le temps d'y voir clair, de retrouver un second souffle. À trente-deux ans, Stephen revient au studio exigu de ses années d'étudiant.
Quand il apprend que le cabinet va procéder à un nouvel "écrémage" et qu'il se trouve sur la sellette, un sursaut de panique le rend audacieux en dépit du fait qu'il n'aime pas son job.
"Je suis absolument terrifié à l'idée de perdre ce boulot que je déteste absolument."
Stephen aborde Malcolm Torrent, P-DG de Torrent Industries, géant du bâtiment, le client le plus prestigieux du cabinet, et lui propose de régler l'affaire qui le préoccupe en moins d'un an, à savoir de sordides histoires de harcèlement sexuel qui touchent plusieurs cadres de son entreprise. Sa femme est consternée par son choix, c'est totalement immoral de sa part de s'atteler à la défense de tels agissements. Quant à Stephen, il y voit l'occasion de ne pas être licencié dans un avenir proche, ce qui lui laisse le temps de se mettre en quête d'un nouvel emploi, et dans la foulée de sauver son couple. Sa rencontre avec August Anselm Betga, l'avocat de l'une des plaignantes, aussi doué que frondeur, vient insuffler une énergie hors du commun teintée de drôlerie à la bataille dans laquelle il s'est engagé.
J'adore les romans d'Elliot Perlman, l'originalité dont il fait preuve pour aborder des thèmes de premier plan : dans "Trois dollars", il interroge le hasard et s'attache à décrire le dénuement - que fait-on lorsque l'on se retrouve avec seulement trois dollars en poche ?; dans "Ambiguïtés", il décrit avec talent l'obsession amoureuse et s'intéresse à la question de savoir s'il est fou d'aimer sans espoir; dans le passionnant et ambitieux "La mémoire est une chienne indocile" - mon préféré -, il parle du pouvoir de la mémoire, de la transmission et de la résistance sous toutes ses facettes.
Ce dernier opus me déçoit par son côté comédie racoleuse qui surfe sur la vague - celle de MeeToo en l'occurrence -, par son écriture moins stylisée, plus passe-partout qui tend, comme l'a fait David Foenkinos, à ne plus donner de beaux romans mais des synopsis de séries - soulignons que ce dernier roman est d'ailleurs en cours d'adaptation. Quelle absurdité pour un si bon auteur de céder à ces délétères sirènes !
Les thèmes abordés restent cependant interpellants : les discriminations en entreprise, le jargonnage sans fin et fumeux des services juridiques et RH, les manipulations et autres abus de pouvoir, la question de la responsabilité et du niveau de complicité que l'on peut avoir avec une culture d'entreprise.
Elliot Perlman nous parle également d'ambition et de ce dont nous sommes capables pour arriver à nos fins, du tiraillement entre les aspirations profondes et les contraintes matérielles.
Autre bémol : une fin qui n'en est pas une, qui se veut ouverte mais fait "flop", donnant l'impression que l'auteur s'est retrouvé impuissant à terminer son histoire. J'apprécie l'originalité, les fins qui laissent place à l'imagination du lecteur, pourtant je reste ici sur ma faim.
Allez ! une note finale positive - je ne veux aucun mal à Elliot Perlman ! -, j'aime l'idée qui sous-tend le roman, revigorante et joyeuse, que l'improbable garde des chances de devenir réel. Et le cheval peut se mettre à parler...
"Les tours de bureaux, comme les temples égyptiens et les ziggourats sumériennes d'autrefois, forment un présent qui attend d'être découvert et interprété par les futurs archéologues et historiens. Mais pour beaucoup de personnes qui y travaillent, leur signification ne fait pas l'ombre d'un doute. Ce sont des fragments d'Azincourt, de la bataille de la Somme, ou de Stalingrad. Même après le coucher du soleil."
Un conseil, savourez celui-ci :
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