" Ce qui me fascine chez vous, c'est ce que je n'arrive pas à trouver." A-C. Pandolfo
Attention chef d'oeuvre !
Les auteurs se sont intéressés à certains laissés-pour-compte de l'Histoire, ces femmes et ces hommes tenus à l'écart pour de discutables raisons et qui furent des créateurs de génie.
Voici Augustin Lesage, un mineur qui, en 1911 à l'âge de 35 ans, entend pour la première fois une voix alors qu'il est au fond de la mine. Cette voix lui dit qu'il sera un artiste. Sans éducation, il ignore ce que veut dire ce mot mais deviendra un véritable peintre, avec à son actif 800 toiles réalisées guidé par la fameuse voix, l' "Esprit" comme il la nomme.
Voici Madge Gill, née de père inconnu dans les quartiers pauvres de Londres en 1882, cachée pour éviter l'opprobre, mariée en désespoir de cause à un cousin. La perte d'un oeil suite à une maladie, la mort de l'un de ses fils de la grippe espagnole, les tromperies de son mari font qu'elle se réfugie dans son monde intérieur où elle rencontre Myrninest sous l'inspiration de laquelle elle joue du piano - sans avoir appris -, écrit des poèmes, dessine des oeuvres qui auront un immense succès après sa mort.
Voici le Facteur Cheval, vrai facteur rural qui, un jour, buttant sur une pierre, a l'idée bizarre de les collecter.... pour bâtir un étonnant et fantastique palais. Pendant 33 ans, au grand dam des rustauds du coin, il a façonné ses rêves.
Voici Aloïse, passionnée de chant lyrique, joyeuse en toutes circonstances. Quand sa soeur aînée, qui a endossé le rôle de la mère depuis sa disparition, l'envoie en Allemagne afin de l'éloigner de son premier amour, Josef, un prêtre défroqué - oh le scandale ! -, elle a le coup de foudre pour l'Empereur Guillaume II. La guerre déclarée, elle se voit obligée de regagner ses pénates suisses, déchirée par la séparation avec un homme qui ignore son existence. Elle sombre peu à peu dans la schizophrénie et passe le reste de ses jours internée, dessinant sans relâche une oeuvre qui sera saluée par Jean Dubuffet.
Voici Marjan Gruzewski, né en Pologne en 1898 et sensible au monde invisible au point de devenir "passeur". C'est en état de transe qu'il dessine des oeuvres extraordinaires, notamment des portraits de personnes ayant réellement existé et qu'il n'a jamais rencontrées.
Enfin Judith Scott, née en 1943, sourde et muette, et dont les parents n'ont pas voulu voir la trisomie - peu connue, il est vrai, à l'époque. Ecartée de sa jumelle afin de ne pas contrarier le bon développement de celle-ci, elle sera internée 40 ans, jusqu'à ce que sa soeur la sorte de là et se fasse sa tutrice. Inspirée par une jeune femme qui pratique l'art textile, Judith s'empare de fils, cordes, laines et crée d'immenses cocons qui éveilleront l'intérêt du public.
Des dessins un peu floutés, un peu naïfs, où le fantastique le dispute au réel dans un joli ballet; un festival de couleurs côtoyant le sombre.
Une réflexion fascinante et capitale sur l'être soi et la normalité, ce cadre qui se révèle faux idéal. La normalité inclut et neutralise, enferme dans un ordinaire commun, dans une certaine sécurité. A force de se fondre, ne disparaît-on pas ?
Les auteurs font l'éloge des exclus tenus à la lisière de la société qui, par là-même, s'en dégagent et rompent la barrière vers la création, l'étrange, le sensationnel, le sensitif, les émotions primaires... pénétrant le domaine de ce que l'on a épinglé l' "anormalité". Si la norme est mathématique, scientifique, elle est règle, principe. Elle n'est pas, à mon sens, humaine parce qu'elle est trop rigide et se veut carcan. Du point de vue humain, la normalité est monstrueuse.
"La normalité est une route pavée. On y marche aisément mais aucune fleur n'y fleurit." Van Gogh
Comments