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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"Elle a menti pour les ailes" Francesca Serra chez Anne Carrière



Garance a disparu.

Nous sommes en mai 2016, dans une petite ville du sud-est de la France, près de la mer. Garance a seize ans et est la fille unique d'Ana Sollogoub, une ancienne danseuse de l'Opéra de Paris qui est venue créer là le Coryphée, une école de danse à la réputation inébranlable. La danse est, à ses yeux, un art d'exigence qui requiert travail et discipline. La danse est toute sa vie et, parce qu'elle n'a jamais obtenu un rôle de soliste, elle a reporté tous ses rêves de gloire sur sa fille, à un point tel qu'elle ne voit pas qui est réellement Garance, qu'elle ne devine pas sa souffrance et qu'elle perd le dialogue.


Garance est d'une beauté rare, sidérante, cependant elle manque d'assurance.

"L'adolescence provoque chez les êtres humains qui la traversent avec les mains moites ce sentiment d'être enfermé dans un lieu dont les issues sont grandes ouvertes. Aux autres seulement."

Elle aimerait être populaire et faire partie de la cour de Maud Artaud, une élève de Terminale, la star de l'école. Quand, ô miracle, cette dernière la demande en contact sur les réseaux sociaux et l'invite à sa si prisée soirée Halloween. Pour Garance, c'est l'occasion inespérée d'approcher Vincent Dagorn, le beau gosse dont elle est amoureuse. C'est également le sésame vers une vie qui ne serait plus qu'à elle, la libérant de celle jusque là soigneusement chorégraphiée par sa mère, depuis la danse à ses amitiés. Garance entame un chemin vers elle-même, un voyage qui sera douloureux et bouleversant.


Avec une plume déliée et très accrocheuse, Francesca Serra nous offre un roman passionnant et lucide sur l'adolescence, celle de notre temps, la génération des réseaux sociaux. Outre les difficultés liées à cet âge déroutant et déterminant, il y a un glissement d'un monde auparavant ressenti et vécu en s'y jetant bras ouverts, tous les sens en éveil, à un monde dorénavant observé à travers un écran de téléphone, en rêvant d'un ailleurs, ignorant que cet ailleurs est l'ici et maintenant; un monde digitalisé où la créativité et l'excellence côtoient la médiocrité, les bassesses, la superficialité, la connerie. Ce drôle de mode où "il suffit d'une icône de pouce levé pour échapper à l'oubli, pour empêcher les autres de faire abstraction de vous. Un like affirme votre présence au monde". Avec toutes les dérives que cela comporte, jusqu'à l'abjection.


Les personnages sont nuancés, malmenés par une identité en devenir, affrontant leur part d'ombre, découvrant leur capacité à faire du mal et la nécessité de se poser des limites. Francesca Serra décrit avec finesse cet âge des jeux de popularité et de pouvoir peu perméable au sentiment de culpabilité. Elle nous parle du désir de plaire et d'être aimé, des dérapages que cette envie bien légitime peut occasionner dans un monde d'images où l'immédiateté est dangereuse, où les moyens de communication ne s'embarrassent pas de recul, où l'on fait et défait une réputation en un clic, appliquant sa propre loi.


Evitant de se montrer sentencieuse ou moralisatrice, l'auteure, de manière acérée, nous donne à voir une génération qui se sert de ce que l'on met à sa disposition, plus encore qui l'érige en essentiel, sans bien souvent posséder les moyens d'en discerner les usages malveillants.



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