Nita vit sur une réserve indienne dans une région reculée à la lisière d'une forêt immense menacée par la cupidité d'exploitants dénués de tout état d'âme. Elle a quinze ans et se rêve une vie ailleurs, loin de ces arbres façonnés de beauté, de croyances et de mystères, auxquels elle a cessé de croire depuis la disparition restée inexpliquée de son père. Privée de sa force et de son amour, elle doit se forger une nouvelle puissance. Elle est à un âge clivage, plus tout à fait gamine, pas encore adulte. Un dramatique évènement la fera définitivement sortir de l'enfance. Lucy, jolie blonde taiseuse et solitaire, venue de la ville s'installer là avec son père, un écrivain obsédé par l'idée du mal et celle de la fin du monde, disparaît soudainement. Sans peur, elle s'était aventurée dans les bois et y avait vu des traces de rituels étranges et effrayants. Des promeneurs la retrouvent trois jours plus tard, endormie au pied d'un arbre, nue et le corps zébrés de profondes griffures, incapable de prononcer un mot comme si elle avait quitté son enveloppe corporelle pour une autre dimension. Ebranlée, Nita n'aura de cesse que de découvrir ce qui lui est arrivé.
Monica Sabolo écrit d'une plume poétique et onirique, comme un rêve éveillé, flirtant avec les eaux troubles, les forces étranges et magnétiques. Avec une sensibilité faite de douceur et de lucidité, elle dit les métamorphoses que nous vivons, abandonnant la personne que l'on était et que l'on ne sera jamais plus. Grandir, c'est accepter que le corps change, que s'expriment de sombres désirs, une certaine sauvagerie au creux du ventre qu'il faut dompter, c'est faire du temps qui passe un ami, c'est trouver à exister en s'apprivoisant soi-même, c'est être avec le plus de consistance possible. Grandir, c'est composer avec un monde invisible et prendre conscience que ce dont l'on ne parle pas existe cependant.
Dans chacun de ses romans, l'auteure revisite les éléments : l'eau avec "Summer", la montagne avec "Crans-Montana", la forêt ici. Autant de forces de la nature avec lesquelles nous avons des liens intimes, vitaux, intrigants. Il y a là une osmose millénaire qui permet un jeu révélateur entre le réel et l'imaginaire, ces dialogues intérieurs qui dessinent notre sensibilité et sans doute notre humanité.
L'écriture de Monica Sabolo a une puissance d'évocation sensuelle et profondément charnelle, épousant le ressenti, les émotions, allant jusqu'au plus profond de nous. Une écriture délicate et intense qui décrit la perte de l'innocence et l'entrée dans le monde adulte, mesuré et sérieux, la perte de cet Eden, premier Paradis perdu. Malgré tout, demeure en nous une spontanéité viscérale si l'on consent à l'entendre, un élan irrésistible, une force irrépressible, le sauvage des temps primordiaux.
"La ligne qui séparait le choix de l'action de celui de la fuite était aussi fine que cette peau () le désir et son accomplissement ne se posent pas exactement l'un sur l'autre, () entre eux demeure un vide, celui de l'inconsolable." p.266
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