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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"De sang et d'encre" Rachel Kadish au Cherche Midi


Londres, novembre 2000. Helen Watt est une éminente universitaire spécialisée en histoire juive. Elle a soixante-quatre ans et, pour la première fois, s'ennuie dans son travail. Jusqu'à ce que Ian Easton, qui fut l'un de ses étudiants, la contacte afin d'expertiser des documents retrouvés lors de la rénovation d'une maison appartenant à son épouse. La demeure date du XVIIe siècle, les documents mêlent l'hébreu, le portugais et le latin. Le coeur d'Helen cogne dans sa poitrine comme il ne l'a plus fait depuis des années.

Au vu de la somme de travail, un ami lui recommande l'un de ses doctorants, Aaron Levy, un Américain qui peine à progresser sur une thèse traitant des rapports de Shakespeare avec les Juifs. Elle est troublée tant il ressemble à un homme connu jadis en Israël, Dror, sa seule histoire d'amour.

Les premiers temps de la collaboration ne sont pas heureux. Helen le trouve prétentieux et n'aime pas son humour. Aaron n'apprécie pas "Madame la professeur Reine des Glaces" qu'il s'amuse à agacer. Pourtant, une amitié, lentement, se nouera.

Le premier document date de 1657, début d'une période marquée par la réadmission des Juifs en Angleterre après pratiquement quatre siècles de bannissement officiel. La majorité des écrits, principalement des lettres, sont signées par Moseh HaCoen Mendes, rabbin venu s'installer à Londres, et portent, parce qu'il était aveugle, le signe de son scribe, Aleph. Helen et Aaron sont stupéfaits de découvrir que derrière Aleph se cache une femme. C'est pour l'époque un fait aussi inhabituel qu'excitant. Alors, la voix d'Ester se fait entendre qui s'interroge sur "l'origine du pouvoir qui a mis le monde en mouvement et qui le gouverne", sur le libre arbitre, sur le désir - "Comment le désir pourrait-il être répréhensible, se demande-t-elle, si chaque être humain le contient en lui ? Chaque créature naît avec le besoin instinctif de respirer, de trouver de quoi manger jour après jour. Le désir par suite n'est-il pas constitutif de la nature humaine, et comme un ensemble de signaux disposés le long de ce chemin qu'est la vie ? Et la négation de son existence ne serait-elle pas alors une sorte de profanation ?" Elle correspond, sous un pseudonyme masculin, avec les penseurs de son temps dont Spinoza.

Helen est fascinée de retrouver en Ester un écho d'elle-même, natures rebelles dont la rage ne trouve pas d'exutoire. Ester a le génie de la contestation et défie les conventions. Elle questionne, apprend, ébranle les bases; elle s'insurge : "pourquoi interdire à la femme de suivre sa nature si celle-ci la porte naturellement à la réflexion ? L'intelligence n'a-t-elle pas un caractère sacré ?" Deux femmes qui ont choisi leur vie et en assument pleinement les conséquences.


Rachel Kadish signe un roman ample, foisonnant, extrêmement romanesque et terriblement addictif. Le lecteur y progresse comme dans une enquête, l'intérêt aiguisé, la délectation à son summum, ravi des coups de théâtre et des revirements inattendus. Les personnages - Helen, Aaron, Ester - sont attachants, se démêlant avec les chausse-trappes de leurs vies, en questionnant le sens, s'accommodant assez mal de leur coeur en peine - l'auteure parle avec finesse de l'amour, ses surprises et ses douleurs, et assure que, s'il peut se montrer terrifiant, le fuir équivaut à gâcher sa vie.

Le ton est remarquablement bien adapté à chaque temps. Nous sommes téléportés au XVIIe siècle avec son vocabulaire et ses tournures de phrases spécifiques, ses ambiances. Plus que lire, nous le vivons de vrai.

Rachel Kadish nous parle de foi, d'engagement, d'amour, du statut de la femme, de l'Histoire et de sa mémoire.

Je retiens en particulier cette idée que, si nous voulons cheminer vers le bonheur, il nous est donné de suivre nos passions, les désirs qui nous animent, sans craindre de s'y brûler.


"Le désir était la seule vérité qui mérite qu'on lui obéisse."

"Ne sous-estimez jamais la passion d'un esprit solitaire."

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