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Photo du rédacteurStéphanie Loré

"De Profundis" Emmanuelle Pirotte chez Le Cherche Midi


Roxanne Dufray vit à Bruxelles où les ciels ne sont plus jamais bleus en raison de la pollution, où une telle violence se déchaîne qu'elle fait de la ville un véritable coupe-gorge. Les temps ont pris des allures de fin du monde depuis que le virus Ebola III a installé son règne de terreur et de mort; le vivre-ensemble a été mis au placard; de nouvelles religions, nées du chaos, persuadées d' "être les derniers dépositaires de la grande civilisation d'Occident" se sont investies de missions punitives et organisent des cérémonies sacrificielles.

Addict au tabac et aux drogues, Roxanne est dealeuse de faux médicaments et de Xynon, un puissant et très prisé somnifère hallucinogène - "À croire que les gens préféraient oublier Ebola III dans un sommeil extatique, plutôt que d'essayer d'en guérir". Toute sa famille a fui au Canada où son beau-frère, ayant fait fortune dans l'immobilier, a acheté des terres. Roxanne a refusé de se joindre à eux parce qu'ils la considèrent comme "une névrosée dangereuse et inadaptée". Et puisqu'elle n'a pas le courage de se suicider, elle sort sans masque ni gants. Elle a un unique ami, Mehdi, son ange gardien, oreille bienveillante, épaule réconfortante.

Sa vie prend une tournure inattendue lorsqu'un avocat la contacte pour lui demander si elle accepte de s'occuper de sa fille qu'elle a abandonnée peu après sa naissance, le père étant mortellement malade. Il y a neuf ans, Roxanne a épousé Alexandre Parish, P.D.G. d'un groupe agroalimentaire, avec lequel elle a conçu Stella. Incapable d'affronter le vide émotionnel éprouvé face à sa fille, impossible d'amour, elle a préféré fuir.

Stella a huit ans, parle peu, n'est attachée qu'à son père et ne sait pas pleurer. Que faire de cette enfant dans un monde ravagé par les pires fléaux ? Roxanne décide de quitter Bruxelles pour la maison familiale de Saint-Fontaine, un challenge pour celle qui redoute l'isolement et le silence absolu. Il y a dans ce village comme un goût d'avant, le temps arrêté, elle s'y sent si vieille. Elle a pris Stella en charge par lâcheté, pour éviter le remords, pour s'accommoder d'une conscience confite de morale judéo-chrétienne. La gamine, par sa seule présence, va la bousculer, lui tendre un miroir et lui montrer son "incapacité à aimer, à se donner, à recevoir l'autre avec un total abandon, sans calcul, sans intérêt, sans peur." Stella lutte contre ses propres souffrances et manques et contre ceux de sa mère, utilisant la danse pour conjurer le chagrin et la solitude, mettant tout son espoir, son talent et son âme dans des chorégraphies qu'elle offre à un inconnu qui hante la maison. Parce qu'elles n'y sont pas seules...


Emmanuelle Pirotte a le talent de dire l'intime, de nous plonger au plus profond des remous et tempêtes intérieurs, autant d'écueils où s'échouer définitivement s'il n'y avait pas la force de l'amour et de l'amitié. Au coeur de la désespérance, l'espoir... Nous ne pouvons fuir indéfiniment; il est parfois nécessaire de se perdre pour se reconnecter à soi.


De Profundis, des profondeurs je crie vers toi...


"Crois-tu vraiment qu'on puisse réparer par quelques mots le tort fait pendant des années ?"


"(...) la solitude est source d'une souffrance si intense que cela mène parfois les gens à commettre les pires choses, envers autrui, et envers eux-mêmes."


Sa dystopie apocalyptique se mêle de légendes cruelles et de contes de fées pour dire cet universel : si nous existons, c'est aussi grâce au regard de l'autre.

Comme dans un précédent roman, "Today we live", la rédemption - et le mot a toute sa force - vient d'une enfant, innocente pourtant lucide. Et nous retrouvons ici aussi un trait propre à l'auteure : un mélange de sombre et de pessimisme avec une grande douceur, de la tendresse. Le clair-obscur de la vie.


Entraînant et efficace !

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