Nous sommes à New Ross en Irlande fin 1985. Bill Furlong est propriétaire du dépôt de bois et de charbon. Il est né d'une mère célibataire de seize ans, le 1er avril 1947. Si d'aucuns ont vu dans cette date une mauvaise blague, parti de rien, Bill a pu s'appuyer sur la bienveillance de quelques-uns, notamment Madame Wilson qui a continué à employer sa mère et lui a offert une éducation.
"Il aurait bientôt quarante ans, mais n'avait pas l'impression d'arriver à quoi que ce soit ou de faire le moindre progrès et ne pouvait s'empêcher de se questionner sur l'utilité des jours."
Il vit dans une région sinistrée que les jeunes fuient, où la misère s'est posée à tous les coins de rue. Il est marié à Eileen avec laquelle il a cinq filles. Les temps sont incertains et il est difficile d'agir librement sous le poids de la religion et du qu'en dira-t-on. Bill résiste cependant et, s'il se pose des questions quant à l'humanité de certains, il ne perd rien de sa bienveillance et de sa générosité. Aussi, lorsque, lors d'une livraison, il découvre une jeune fille enfermée, presque nue, dans le local à charbon du couvent, il décide de l'aider. Il est hérissé par le mépris des soeurs vis-à-vis des filles qu'elles sont censées éduquer et il connaît les bruits qui courent sur l'endroit, à savoir que les filles sont exploitées et que les soeurs font commerce des enfants illégitimes. Beaucoup ferment les yeux parce que le couvent est un appui financier, y compris la femme de Bill. Il sait les problèmes auxquels il va devoir faire face, cependant ce sera moins pire que s'il n'intervient pas.
Comme Dermot Bolger l'a fait dans "Une seconde vie", Claire Keegan parle du scandale des soeurs catholiques qui asservissaient les filles-mères sous couvert de leur dispenser une éducation. Son roman ressemble à un conte de Noël, il est court et met sur le devant de la scène la cruauté dont l'humain peut faire preuve, comme la bonté dont il est capable. Bill, le personnage principal, un homme aux blessures d'enfance, est un héros ordinaire qui n'a pas oublié la bienveillance reçue et qui a le courage d'écouter sa conscience et de se laisser guider par son coeur, en contrepoint de l'indifférence générale.
Le style de l'auteure est éthéré et féerique pour nous décrire l'hiver, sa lumière, ses enchantements; il est délicat et elliptique pour dire les regards fuyants, le poids de la honte, les confessions retenues, les mots regrettés. Tout est dit, tout est là, dans les silences. En refermant le roman de Claire Keegan, ce n'est pas la rudesse que l'on retient, bien la clarté qui en émane.
"Les gens pouvaient être bons, se rappela Furlong, (...) il s'agissait d'apprendre à doser et à équilibrer les concessions mutuelles d'une manière qui vous permettait de vous entendre avec les autres aussi bien qu'avec les vôtres."
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