Ida revient à Messine et à l'appartement familial, que sa mère compte
vendre, pour trier les affaires qu'elle y a laissées en le quittant il y a
près de vingt ans. Elle tient surtout à récupérer une précieuse boîte rouge
qui contient tout ce qui lui reste de son père : une cassette avec
l'enregistrement de sa voix et sa pipe. Son père, professeur de lycée
estimé, tombé en dépression et parti soudainement un jour, sans un
mot et sans plus donner de nouvelles. Elle revient à un temps qui s'est
figé, l'année de ses treize ans, celle de ses premières règles, celle où le
mot "père" est devenu douloureux. Elle y retrouve souvenirs et
cauchemars, un gouffre duquel, à vrai dire, elle n'est jamais sortie.
"Pendant toute ma vie, j'avais été la fille de l'absence de Sebastiano
Laquidara."
Elle y retrouve sa mère qui a étouffé le drame sous la bonne éducation, qui l'a habité plutôt que de l'affronter et qui, en faisant comme si, a nourri l'absence et le manque.
Le temps est venu de mettre un terme aux évitements et de défier ce fantôme, ainsi que son héritage de non-dits.
Nadia Terranova raconte avec délicatesse les blessures d'enfance, les douleurs qui s'installent de n'être pas réparées - "Voilà ce que nous aurions dû faire : mélanger nos larmes à l'huile et au gras du bifteck, nommer la dépouille de mon père, lui creuser une tombe faite de phrases et de sanglots, si besoin." Avec lucidité et tendresse, elle aborde les écueils que connaissent nos vies : les choix posés qui engendrent des dommages collatéraux; la difficulté de renouer un dialogue qui s'est essoufflé; l'amour qui se transforme et se fragmente - "Je pensai à mon père, dépressif et asservi aux médicaments, privé de désir sexuel; je pensai à ma mère, qui avait enduré encore jeune la négation de son corps, l'irrévocabilité de pulsions éteintes; au miroir de leur mariage, je vis le mien, et tous les mariages du monde s'enliser dans cet orgueil illusoire qui nous pousse à demander à une seule personne d'occuper les rôles d'amant, compagnon, parent, ami, avant de nous exposer à la dévastation quand s'écroule l'une de ces attributions - sinon toutes en même temps."
S'il est dur de braver les peines, les trahisons, les défections, il est primordial de le faire parce que les regarder en face, les nommer, leur donner forme dans notre réel, c'est s'en libérer.
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